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14 results tagged Economy and markets

Arthur Keller : « Notre civilisation convertit la nature en déchets »https://lareleveetlapeste.fr/arthur-keller-notre-civilisation-est-une-machine-qui-convertit-la-nature-en-dechets/

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Arthur Keller : « Notre civilisation est une machine qui convertit la nature en déchets »

"On nous persuade que le bonheur découlerait d’une somme de petits plaisirs et que le plaisir proviendrait de la consommation et de l’accumulation, alors qu’il n’est pas de vrai bonheur sans la fierté de se battre pour les valeurs qu’on sait bonnes et sans la sagesse de l’autolimitation."

Texte: Laurie Debove

Arthur Keller est un spécialiste des risques systémiques qui pèsent sur les sociétés humaines, des vulnérabilités de ces dernières face à ces risques, et des stratégies de transformation collective, dans une optique de résilience. Alors que l’humanité dépasse de plus en plus de limites planétaires, nous l’avons interrogé pour savoir comment transformer nos sociétés afin qu’elles deviennent plus justes et pérennes.

Pour Arthur Keller, notre planète est atteinte d’un cancer généralisé

Arthur Keller : « J’utilise souvent une analogie que j’ai développée pour illustrer l’erreur méthodologique fondamentale que nous commettons dans notre approche générale des enjeux liés au dépassement écologique planétaire : la métaphore du cancer généralisé. C’est un dérèglement systémique du corps, qui se traduit en de multiples symptômes : maux de tête, problèmes de peau et de digestion, par exemple. Pour chacun de ces symptômes, il existe des remèdes, ça peut être de l’ibuprofène, une pommade, un antispasmodique. Pourtant, la somme de ces « solutions » ne guérit pas la maladie.

Pour chaque crise, des experts préconisent des solutions, et l’on s’imagine que la somme de ces solutions pourrait nous sauver. Hélas le compartimentage en champs d’expertise masque la réalité de la maladie : notre civilisation est une machine qui convertit la nature en déchets.

Ces derniers sont solides, liquides ou gazeux ; parmi les gaz, certains détraquent le climat. Le changement climatique, à l’instar des autres crises, n’est qu’un symptôme de la maladie. Et notre obstination à nous attaquer aux conséquences sans remettre en question les causes explique selon moi notre échec constaté jusqu’ici.

LR&LP : Selon une étude publiée le 31 mai dans la revue Nature, sept des huit limites assurant la stabilité et la bonne santé du système planétaire ont déjà été dépassées. Quelles sont-elles ?

Arthur Keller : Cette étude est intéressante parce qu’elle porte sur le système dynamique complexe qui est constitué du système Terre (lithosphère, cryosphère, atmosphère, biosphère et pédosphère) et de l’anthroposphère (la sphère englobant l’humanité, ses sociétés et ses activités). Dans le cadre des limites planétaires, on n’était que sur le système Terre ; ici l’on incorpore les sciences humaines et sociales, comme dans le concept d’économie du donut de Kate Raworth.

En 2009, une équipe internationale de scientifiques a déterminé 9 seuils à ne pas dépasser pour préserver une planète Terre habitable pour l’humanité. Le seuil de stabilité de la machine climatique a été dépassé, nous sommes donc entrés dans une phase transitoire entre un état climatique stable et un autre, qui n’adviendra probablement pas avant plusieurs milliers ou dizaines de milliers d’années en raison notamment de la cinétique propre à la cryosphère. Jusqu’à nouvel ordre, nous allons donc devoir faire avec un climat fortement instable.

Par ailleurs, une nouvelle extinction de masse est enclenchée, due aux activités humaines, activités agricoles et forestières au premier plan. Les pollutions sont rejetées dans les milieux naturels si vite qu’elles s’accumulent et rendent les habitats naturels toxiques. Les cycles biogéochimiques, grands cycles du vivant, sont déréglés, notamment le phosphore et l’azote, ainsi que le cycle de l’eau.

Une autre limite est proche : celle qui concerne l’acidification des océans. Quant à la limite liée aux aérosols dans l’atmosphère, nous sommes encore en deçà du seuil fatidique. La dernière actuellement identifiée a trait au trou dans la couche d’ozone : c’est l’unique domaine dans lequel la situation progresse dans la bonne direction. Au final, l’humanité a d’ores et déjà franchi 6 des 9 limites qu’il ne faut pas franchir, selon les scientifiques, afin de garantir l’habitabilité de la Terre.

Dans l‘étude parue fin mai, il ne s’agit pas tout à fait des mêmes 9 limites mais d’un sous-ensemble. Ces 8 limites-là, définies comme « sûres et justes », intègrent à la fois des données scientifiques et des métriques sociales. Et ce que dit la publication, c’est que 7 de ces 8 limites ont déjà été dépassées.

Même sans alarmisme, la situation est alarmante.

LR&LP : Certains appellent à « Changer de civilisation », est-ce possible et la solution ?\

Arthur Keller : C’est indispensable ! Hélas ce n’est pas pour cela que c’est possible. Je ne crois malheureusement pas une seconde à notre capacité collective à organiser la métamorphose nécessaire. Le système s’auto-entretient, je suis convaincu qu’il le fera jusqu’à s’autodétruire, entraînant avec lui une grande partie de la biosphère.

On ne peut pas durablement prélever plus de ressources que ce que le système Terre peut produire, de même on ne peut continuer de détruire plus vite que la capacité d’autoréparation. C’est pour cela qu’on va vivre, dans les prochaines années et décennies, une grande descente énergétique et matérielle agrémentée de raréfactions et de pénuries conflictogènes.

Cette descente induira forcément une contraction économique, car la croissance de l’économie est fortement corrélée aux flux d’énergie et de matières premières. C’est inéluctable. Et échouer à planifier et piloter cette contraction sous forme de politiques de décroissance nous condamnera à la subir dans le chaos sous la forme d’un délitement socio-économique désastreux et potentiellement permanent. Bien avant 2050.

Il n’existe aucun moyen d’opérer un découplage absolu entre le Produit Intérieur Brut et la pression anthropique globale – ceux qui prétendent le contraire n’ont pas saisi la systémique des enjeux ou sont des lobbyistes au service d’une idéologie ou d’intérêts financiers. Dans tous les cas, leurs propos sont en déphasage avec les données et les connaissances scientifiques.

Il faudrait donc, en effet, changer en profondeur les règles de l’économie mondiale et nos modèles de sociétés, mais le système repose sur des ordres établis si solidement ancrés qu’il n’est pas possible, j’en ai peur, de le changer véritablement.

On peut en limiter la nocivité par la voie de la mobilisation politique et citoyenne, par la révolte et la Résistance (sous le radar ou frontales) : l’idéal serait que les diverses modalités de lutte et les différentes radicalités se comprennent comme des alliées mutuelles et se synergisent enfin.

En parallèle, il faut poser les fondations d’un système alternatif, même si l’on ne dispose pas de tous les moyens qu’il faudrait : à travers des expérimentations et des démonstrateurs territoriaux, il est temps de prouver et de faire savoir, via des récits inspirants, qu’il existe d’autres façons d’organiser les économies locales, de prendre les décisions collectivement, d’assurer aux gens un minimum vital, de développer des activités régénératives, de travailler sur le découplage entre qualité de vie et quantité énergétique et matérielle, de réaménager des espaces pour un vivre-ensemble salubre.

Il est possible de redonner du sens, de nourrir une culture du risque, de la responsabilité et de la solidarité, de créer de la cohésion, d’insuffler la conviction d’une appartenance à une même communauté de destin.

Le grand système extrêmement puissant va se casser la gueule, le technosolutionnisme atteint ses limites, les « solutions » sur lesquelles nous misons l’avenir et les grands projets que les privilégiés persistent à nourrir (conquête spatiale, IA, impérialisme, etc.) vont également buter sur la descente énergétique et matérielle. Il faut anticiper des bascules sociétales et s’y préparer collectivement, en coopération intra- et inter-territoriales, intra- et inter-communautaires, sans tomber dans le piège de l’entre-soi.

Un changement de civilisation à travers les territoires

LR&LP : Comment préparer un territoire ?

Arthur Keller : Cela fait appel à des principes, leviers, outils que j’enseigne à des élus et agents territoriaux, ou à des citoyens dans le cadre de formations et d’ateliers. Même si à ce jour il n’existe pas, à ma connaissance, de collectivité pleinement résiliente, il existe tout de même des initiatives vraiment intéressantes, des démarches volontaristes qui vont dans le bon sens.

Qu’il s’agisse de collectifs participant au mouvement des Villes en transition, de certains oasis Colibris, de dynamiques territoriales comme le projet TERA, de monnaies locales et de systèmes d’échanges locaux, de réserves communales de sécurité civile, il se passe des choses intéressantes et inspirantes, on ne part pas de zéro et c’est rassurant !

Une partie de ces projets territoriaux s’attaquent à un point clé : comment produire l’essentiel de façon pérenne, en tenant compte des évolutions écologiques (climat, cycle de l’eau, biodiversité, etc.) et de possibles ruptures d’approvisionnement critiques, en ne comptant que sur ce dont on peut disposer dans un rayon géographique maîtrisable.

En matière de production alimentaire, on a la chance inouïe d’avoir des approches qui cochent toutes les cases : l’agroécologie, l’agroforesterie et la permaculture réunies, avec des pratiques sur sol vivant, ont le potentiel de nourrir le monde entier de façon saine, variée, nutritive et savoureuse tout en régénérant les écosystèmes.

Des monnaies locales et des circuits courts locaux sont aussi créés, reliant les acteurs et habitants des territoires. Des expérimentations sociales aussi, portant par exemple sur un revenu minimum d’existence ou un revenu minimum universel, sur une dotation inconditionnelle d’autonomie ou une sécurité sociale alimentaire comme à Montpellier et Strasbourg, sont en cours. Ainsi que de multiples initiatives de démocratie délibérative et participative…

Les gens peuvent et doivent se réapproprier la gestion des Communs. Les collectivités ont la capacité de garantir l’accès à tous au minimum vital : à Montpellier, les premiers mètres cubes d’eau sont désormais gratuits. Il serait intéressant d’étendre ce principe à tout ce qui est nécessaire pour vivre dignement.

La question des récits est en vogue et pour une bonne raison, car il n’y aura pas de massification des changements de comportements sans l’émergence de nouveaux imaginaires. Plus encore que des œuvres de fiction, il est capital de transposer les transformations concrètes réussies en récits vivides et inspirants afin d’alimenter une dynamique culturelle.

LR&LP : Les mentalités sont-elles prêtes pour expérimenter et mettre en place tout ça ?

Arthur Keller : La promesse de plus de confort et moins de travail proposée de longue date par les promoteurs de l’innovation technique n’a pas été tenue. Aujourd’hui, ce même système nous explique qu’il faut travailler toujours plus pour se maintenir sur place. Le « progrès » s’est mué en un marathon qui enrôle de force, assaillit de dissonances cognitives et aboutit en général à un sentiment amer d’inassouvissement.

Ceux qui proposent la semaine de 4 jours sont traités de fous, comme le furent avant eux les défenseurs de la journée de 12 heures, puis de 10, puis de 8, puis les partisans du repos dominical, puis ceux des congés payés – deux, trois, quatre puis cinq semaines ! – puis ceux de la semaine de 35 heures.

Chaque progrès social se heurte aux chantres du productivisme forcené.

Les robots, les objets connectés et l’IA nous envahissent mais ne s’accompagnent pas d’une libération puisque rien n’est entrepris pour que les gens puissent vivre bien sans emploi ; au contraire, les postures idiotes prolifèrent qui assimilent le non-emploi à de la fainéantise et le fainéant à un sous-citoyen qui ne mériterait pas la fraternité de l’État-providence.

Les habitants des pays riches sont saturés de choix de consommation qui leur sont présentés comme un summum de liberté alors que cette surenchère aliène en créant de l’addiction – c’est-à-dire une dépendance, l’exact opposé d’une liberté –, une insatiabilité croissante et de la frustration : plus t’en as, plus t’en veux… jusqu’à la perte de sens totale.

Cette course folle ne rend pas seulement fou mais aussi malheureux. Au-delà d’un certain niveau de vie, il y a un point de rebroussement du bonheur ressenti.

On nous persuade que le bonheur découlerait d’une somme de petits plaisirs et que le plaisir proviendrait de la consommation et de l’accumulation, alors qu’il n’est pas de vrai bonheur sans la fierté de se battre pour les valeurs qu’on sait bonnes et sans la sagesse de l’autolimitation.

Il me semble d’ailleurs primordial de réapprendre la notion de liberté : une somme d’individualismes sans limites ne débouche jamais sur une société libre mais sur une dystopie dans laquelle quelques riches peuvent tout et la majorité presque rien.

La liberté de chacun découle d’une géométrie démocratiquement négociée des droits et des devoirs : quand des limites énergétiques et matérielles, biophysiques et écologiques, s’imposent aux sociétés humaines, ne pas les retranscrire rationnellement en libertés et en interdits et ne pas les décliner en codes sociaux et culturels ne peut qu’entraîner la dislocation des sociétés.

Ceux qui refusent de nouvelles limitations par principe, sans s’intéresser aux bouleversements à l’œuvre dont découle l’impératif desdites limitations, n’œuvrent pas au nom de la liberté ainsi qu’ils le prétendent mais dans l’espoir égoïste de maintenir leurs privilèges. Le monde change vite ; si nous voulons préserver ce qui compte, il nous faut vite changer aussi. » conclut Arthur Keller

Permalink
December 3, 2023 at 5:41:07 PM GMT+1

Online tracking: Data harvesters came for your privacy – and found it | New Scientisthttps://www.newscientist.com/article/mg25934532-700-nowhere-to-hide-data-harvesters-came-for-your-privacy-and-found-it/

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Le profilage de nos données personnelles a de réelles conséquences sur nos vies

Pourquoi cette offre d’emploi n’est-elle jamais arrivée jusqu’à vous ? Pourquoi n’obtenez-vous pas ce crédit ? La faute à vos données personnelles. Au-delà du profilage publicitaire, elles sont désormais utilisées pour déterminer votre façon de travailler, votre profil psychologique ou si vous êtes trop dépensier. Il est temps de reprendre le contrôle, affirme cette journaliste dans “New Scientist”.

En 2021, un vendredi, je suis entrée dans un hôtel d’Exeter, en Angleterre, à 17 heures, 57 minutes et 35 secondes. Le lendemain matin, j’ai conduit pendant neuf minutes pour me rendre à l’hôpital voisin. J’y suis restée trois jours. Le trajet de retour, qui dure normalement une heure quinze, m’a pris une heure quarante. Pourquoi cette vitesse ralentie ? Parce que je transportais mon nouveau-né à l’arrière.

Il ne s’agit pas d’un extrait de mon journal intime. C’est ce que Google sait du jour de la naissance de ma fille, rien qu’avec mon historique de géolocalisation.

Et les données personnelles amassées par d’autres entreprises ce week-end-là leur permettent d’en savoir beaucoup plus encore. Netflix se souvient que j’ai regardé plusieurs comédies légères, dont Gilmore Girls et Comment se faire larguer en 10 leçons. Instagram a noté que j’avais liké un post sur l’accouchement déclenché et que je ne me suis pas reconnectée pendant une semaine.

Et alors ? Nous savons tous aujourd’hui que la moindre de nos activités en ligne est suivie et que les données collectées sont extrêmement détaillées et s’accumulent en continu. D’ailleurs, peut-être appréciez-vous que Netflix et Instagram connaissent si bien vos goûts et préférences.

“Il y a de quoi être horrifié”

Pourtant, les enquêtes et procès se multiplient et dressent un tableau où la collecte de nos données a une incidence nettement plus insidieuse que ce que la plupart d’entre nous imaginent. En me penchant sur le sujet, j’ai découvert que la collecte de mes données personnelles pouvait avoir des conséquences sur mes perspectives professionnelles, mes demandes de crédit et mon accès aux soins.

Autrement dit, cette pratique a potentiellement des répercussions sur ma vie dont je n’ai même pas idée. “C’est un immense problème, et chaque jour il y a de quoi être horrifié”, résume Reuben Binns de l’université d’Oxford.

On pourrait croire qu’avec la mise en place en 2018 du RGPD (Règlement général sur la protection des données) – la loi européenne qui permet aux internautes de mieux contrôler la collecte et l’utilisation de leurs données personnelles –, les questions de vie privée ont été essentiellement résolues. Après tout, il suffit de ne pas accepter les cookies pour ne pas être pisté, non ? Alors que je tiens ce raisonnement devant Pam Dixon, représentante du World Privacy Forum, elle part dans un grand éclat de rire incrédule. “Vous croyez vraiment ça ? me lance-t-elle.

95 % des sites en infraction

Des centaines d’amendes ont déjà été infligées pour manquement au RGPD, notamment contre Google, British Airways et Amazon. Mais pour les spécialistes, ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. Selon une étude menée l’an dernier par David Basin, de l’école polytechnique de Zurich, près de 95 % des sites Internet pourraient être en situation d’infraction.

Alors que la loi devait aider les citoyens à mieux comprendre de quelles données ils autorisent la collecte, plusieurs études montrent que les politiques de confidentialité des marques sont devenues de plus en plus complexes, et non l’inverse. Et si vous vous croyez protégé par les bloqueurs de publicité et les VPN qui masquent votre adresse IP, détrompez-vous. Bon nombre de ces services vendent également vos données.

Nous commençons à peine à mesurer l’ampleur et la complexité du problème. Une poignée de grandes entreprises – Google, Meta, Amazon et Microsoft – pèsent lourd dans l’équation, reconnaît Isabel Wagner, chercheuse en cybersécurité à l’université de Bâle, en Suisse. Mais derrière eux se cache une myriade d’acteurs, des centaines, voire des millions d’entreprises, qui achètent, vendent, hébergent, pistent et analysent nos données personnelles.

Qu’est-ce que cela signifie pour une personne ordinaire comme moi ? Pour le savoir, je me suis rendue à Lausanne, à HestiaLabs, une start-up fondée par Paul-Olivier Dehaye, mathématicien et principal lanceur d’alerte dans le scandale de Cambridge Analytica. Ce cabinet de conseil politique avait illégalement utilisé des données d’utilisateurs Facebook pour faire pencher l’élection présidentielle de 2016 en faveur de Donald Trump. L’enquête de Paul-Olivier Dehaye sur Cambridge Analytica a révélé jusqu’où s’étendait le pouvoir d’influence des vendeurs et acheteurs de données. C’est pour changer cela qu’il a créé HestiaLabs.

Avant notre rendez-vous, je demande à plusieurs entreprises de me fournir les données personnelles qu’elles ont enregistrées sur moi – une démarche plus laborieuse qu’on ne serait en droit de le croire depuis le RGPD. Puis, je retrouve Charles Foucault-Dumas, responsable de projet à HestiaLabs, dans les bureaux de la société, un modeste espace de coworking en face de la gare de Lausanne. Installés face à son ordinateur, nous chargeons mes données sur son portail.

Mes données s’affichent devant moi sous la forme d’une carte indiquant tous les endroits où je suis allée, tous les “j’aime” que j’ai distribués et toutes les applications ayant contacté une régie publicitaire. Sur les lieux que je fréquente régulièrement, comme la crèche de ma fille, des centaines de points de données forment de grosses taches colorées. Mon adresse personnelle est marquée par un énorme point, impossible à manquer. C’est édifiant. Et un peu terrifiant.

Fan de rugby, de chats et du festival Burning Man ?

Le plus surprenant est de découvrir quelles applications contactent des services tiers en mon nom. La semaine dernière, le comportement le plus coupable – 29 entreprises contactées – est venu d’un navigateur Internet qui se vante précisément de respecter votre vie privée. Mais, finalement, qu’il s’agisse d’un simple outil de prise de notes ou d’une appli de courses en ligne, à peu près toutes les applications de mon téléphone sollicitent en permanence des entreprises pendant que je vis ma vie.

En règle générale, une entreprise qui vend un produit ou un service s’adresse à une agence de communication faisant le lien avec des plateformes de vente, d’achat et d’échanges d’espaces publicitaires, elles-mêmes connectées à des régies publicitaires chargées de placer les annonces sur un média. Chaque fois que vous allez sur un site Internet ou que vous survolez un message sur un réseau social, toute cette machinerie se met en route – et produit plus de 175 milliards d’euros par an.

Quelles données personnelles ces entreprises s’échangent-elles ? Pour le savoir, il faudrait que je pose la question à chacune d’entre elles. Et même dans le cas de celles que j’ai pu contacter avec l’aide d’HestiaLabs, la réponse n’est pas toujours évidente.

Prenons l’exemple d’Instagram. Le réseau social liste 333 “centres d’intérêt” associés à mon profil. Certains sont pour le moins surprenants : le rugby, le festival Burning Man, le marché immobilier et même “femme à chats”. Ami lecteur, sache que je n’ai jamais eu de chat.

D’autres sont plus justes, et sans surprise : un certain nombre d’entre eux sont liés à la parentalité, qu’il s’agisse de marques comme Huggies ou Peppa Pig, de discussions sur les lits de bébé ou le sevrage. J’en viens à me demander de quelle manière ces données n’ont pas seulement influencé mes achats mais aussi la vie de ma fille. Sa fascination pour les aventures d’une famille de petits cochons roses est-elle entièrement naturelle ou nous a-t-on “servi” ces vidéos en raison de certaines de mes données personnelles transmises par Instagram ? Tous ces messages sur le sevrage sont-ils apparus spontanément sur mes réseaux sociaux – influant sur la façon dont j’ai initié ma fille à la nourriture solide – ou ai-je été ciblée ? Impossible de reconstruire les liens de cause à effet. J’ignore complètement si mes “centres d’intérêt” m’ont désignée pour d’éventuels démarchages.

Les échanges de données personnelles forment un écheveau quasiment impossible à démêler. Il n’est pas rare que des données soient copiées, segmentées et ingurgitées par des algorithmes et des systèmes d’apprentissage automatique. Résultat, explique Pam Dixon, même avec une législation comme le RGPD, nous n’avons pas accès à la totalité de nos données personnelles. “Il y a un double niveau à ce problème. Il existe une première strate, constituée par les données que nous pouvons retrouver, poursuit-elle. Et une seconde que l’on ne voit pas, que nous n’avons légalement pas le droit de voir, personne.”

Au-delà du ciblage publicitaire

De récents rapports offrent toutefois quelques aperçus. En juin, une enquête du journal américain The Markup a révélé que ce type de données cachées permettait aux publicitaires de nous catégoriser en fonction de nos affinités politiques, de notre état de santé et de notre profil psychologique. Suis-je une “maman accro à son portable”, une “bonne vivante”, “une facilement découragée” ou une “woke” ? Je n’en sais rien. Ce que je sais, c’est que toutes ces étiquettes sont effectivement utilisées par les régies publicitaires en ligne.

Il est perturbant d’apprendre que je suis ainsi étiquetée sans savoir pourquoi ni comment. Une part de moi se demande si c’est vraiment grave. Car je comprends l’intérêt d’avoir des publicités qui tiennent compte de mes préférences, ou d’ouvrir mon application de navigation et de voir apparaître les musées et les restaurants où je suis déjà allée ou qui sont susceptibles de me plaire. Mais, croyez-moi, la désinvolture avec laquelle nous acceptons ce marché est l’un des moyens les plus sûrs de faire grincer des dents un spécialiste de la vie privée.

D’une part, commence Pam Dixon, les utilisations de ces données vont bien au-delà du ciblage publicitaire. Il suffit d’un détail aussi insignifiant que l’enseigne où vous faites vos courses (être client d’une chaîne discount est un indicateur de faible revenu) ou l’achat d’un produit de sport (signe que vous faites de l’exercice) pour modifier votre profil de candidat à l’entrée d’une université ou le montant de votre prime d’assurance médicale. “On ne parle pas que de publicité ici, insiste-t-elle. C’est la vie réelle.”

Aux États-Unis, de récentes lois ont levé le voile sur les pratiques de certaines entreprises. Adopté en 2018 dans le Vermont, le Data Broker Act a ainsi révélé que les courtiers en données enregistrés dans cet État – mais également présents dans d’autres – vendaient des données personnelles à de potentiels employeurs ou bailleurs, souvent via des intermédiaires. En juillet, le bureau américain de protection financière du consommateur a découvert que des données cachées servaient à “noter” les consommateurs, un peu de la même manière que les banques vous attribuent une note financière globale lorsque vous faites une demande de prêt. Reuben Binns explique :

“Il y a les choses que vous faites, les sites que vous visitez, les applications que vous utilisez, tous ces services peuvent alimenter des plateformes qui vérifient si vous êtes un bon candidat à la location et quelles conditions de crédit vous proposer.”

À HestiaLabs, je comprends que j’ai peut-être moi aussi été affectée par ces pratiques dans mon quotidien, pas seulement à travers le ciblage publicitaire mais également par la façon dont mes données sont traitées par les algorithmes. En effet, sur LinkedIn, un des présupposés liés à mon profil indique que je ne suis ni “une personnalité de leader” ni “un manager senior”. Alors que j’ai dirigé une équipe de 20 personnes à la BBC et qu’avant cela j’ai été rédactrice en chef de plusieurs sites web de la chaîne – autant d’informations que j’ai spécifiquement compilées sur mon profil LinkedIn. Cela a-t-il une incidence sur mon évolution professionnelle ? Lorsque je pose la question à un représentant de la plateforme, on m’assure que ces “présupposés” ne sont aucunement utilisés “pour sélectionner les offres d’emploi qui [me] sont proposées sur ce réseau”.

Une protection de la vie privée qui laisse à désirer

Pourtant, plusieurs actions en justice ont révélé que, sur Facebook, des données étaient utilisées afin de cacher aux femmes certaines offres d’emploi dans le secteur des technologies. En 2019, la maison mère du réseau, Meta, a supprimé cette possibilité pour les annonceurs. Sauf qu’il est très facile de trouver d’autres moyens d’exclure les femmes, soulignent les spécialistes, par exemple en ciblant les profils comportant des intérêts associés à des stéréotypes masculins. “Ces préjudices ne sont pas visibles sur le moment pour l’utilisateur. Ils sont souvent très abstraits et peuvent intervenir très tard dans le processus de filtrage”, explique Isabel Wagner.

Plus le volume de données collectées augmente, plus la liste des problèmes signalés dans les médias s’allonge. Des applications de suivi d’ovulation – ainsi que des SMS, des courriels et des recherches sur Internet – ont été utilisées pour lancer des poursuites contre des femmes s’étant fait avorter aux États-Unis depuis la suppression de l’[arrêt Roe vs Wade](https://www.courrierinternational.com/article/carte-le-nombre-d-avortements-augmente-aux-etats-unis-malgre-l-arret-de-la-cour-supreme#:~:text=La décision de la Cour,avortements pratiqués dans le pays.) l’an dernier.

Des prêtres ont vu leur homosexualité dévoilée après qu’ils ont utilisé l’application de rencontre Grindr. Un officier russe a été tué lors de son jogging matinal après avoir été suivi, présume-t-on, par l’intermédiaire des données publiques de son compte Strava. La protection des données vise à empêcher ce genre de problèmes. “Mais de toute évidence la mise en œuvre laisse fortement à désirer”, soupire Reuben Binns.

Le problème tient en partie au manque de transparence des entreprises. Nombre d’entre elles optent pour des systèmes “protégeant la vie privée” où les données d’une personne sont segmentées en plusieurs points de données qui sont disséminés dans différents serveurs ou localement chiffrés. Paradoxalement, cela complique surtout la tâche pour l’utilisateur qui souhaite accéder à ses propres données et comprendre comment elles sont utilisées.

Du point de vue de Paul-Olivier Dehaye, le fondateur d’HestiaLabs, il ne fait aucun doute que les entreprises peuvent et doivent nous rendre le pouvoir sur nos données. “Si vous allez sur un site maintenant, une multitude d’entités en seront informées dans la seconde et sauront qui vous êtes et sur quel site vous avez commandé une paire de baskets il y a deux semaines. Dès lors que l’objectif est de vous inonder de mauvaises pubs, les entreprises sont capables de résoudre tous les problèmes. Mais demandez-leur vos données, et elles ne savent plus rien faire. Mais il existe un moyen de mettre cette force du capitalisme à votre service plutôt qu’au leur.”

J’espère qu’il a raison. Alors que je marche dans les rues de Lausanne après avoir quitté les bureaux d’HestiaLabs, je vois un homme devant la vitrine d’un magasin de couteaux, son téléphone portable dépassant de sa poche, puis une femme tirée à quatre épingles, un sac Zara dans une main et son portable dans l’autre. Un peu plus loin, un homme parle avec animation dans son téléphone devant le commissariat de police.

Pour eux comme pour moi, tous ces instants sont aussi brefs qu’insignifiants. Mais pour les entreprises qui collectent nos données, ce sont autant d’occasions à saisir. Des opportunités monnayables. Et tous ces points de données ne disparaîtront peut-être jamais.

Reprendre le contrôle

Suivant les conseils de Paul-Olivier Dehaye et des autres spécialistes que j’ai interrogés, je décide en rentrant chez moi de faire le tri dans mon téléphone et de supprimer les applications dont je ne me sers pas. Je me débarrasse également de celles que j’utilise peu et qui contactent un peu trop d’entreprises ; je les utiliserai depuis mon ordinateur portable à la place. (J’utilise un service appelé “TC Slim” qui m’indique quelles entreprises sont en lien avec mes applications.) J’installe également un nouveau navigateur qui respecte réellement – semble-t-il – ma vie privée. Les applications et navigateurs open source et non commerciaux sont généralement de bonnes solutions, explique Isabel Wagner, car leurs développeurs ont moins d’intérêt à collecter vos données.

J’ai également commencé à éteindre mon téléphone lorsque je ne m’en sers pas. Car la plupart des téléphones continuent à transmettre vos données de géolocalisation même lorsque vous coupez la connexion wifi et les données mobiles ou activez le mode avion. Sur mon compte Google, j’ai décoché l’option de sauvegarde des lieux, même si pour le moment une sorte de nostalgie m’empêche de demander la suppression de tous mes historiques.

On peut également modifier notre façon de payer. Pam Dixon qui préconise d’avoir plusieurs cartes bancaires et de choisir “minutieusement” lesquelles utiliser sur Internet. Pour les achats susceptibles d’envoyer un signal “négatif”, dans un magasin discount par exemple, préférez les paiements en liquide. Elle recommande également d’éviter les sites et applications liés à la santé. “C’est un terrain miné en général”, résume-t-elle. Malgré toutes les mesures que vous prendrez, les entreprises trouveront toujours des moyens de contourner vos garde-fous. “C’est un jeu où on ne peut que perdre”, conclut Paul-Olivier Dehaye. Raison pour laquelle la solution ne relève pas des seuls individus. “Nous avons besoin d’un véritable changement sociétal”, confirme Reuben Binns.

Si suffisamment de gens parviennent individuellement à faire entendre leur voix, nous pourrons faire évoluer le système, espère Paul-Olivier Dehaye. La première étape consiste à faire une demande d’accès à vos données personnelles. “Faites comprendre aux entreprises que si elles font un pas de travers vous ne leur ferez plus confiance, résume-t-il. À l’ère des données, si vous perdez la confiance des gens, votre entreprise est condamnée.”

Permalink
October 2, 2023 at 9:00:33 PM GMT+2

How Mastercard sells its ‘gold mine’ of transaction datahttps://pirg.org/edfund/resources/how-mastercard-sells-data/

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How Mastercard sells its ‘gold mine’ of transaction data

Mastercard knows where people shop, how much they spend, and on what days - and it sells that information online.

R.J. Cross - Director, Don't Sell My Data Campaign, U.S. PIRG Education Fund; Policy Analyst, Frontier Group

Today, many of the companies we interact with on a daily basis have found a new revenue stream: selling their customers’ data. There are huge markets for personal data, bought by companies ranging from advertisers and tech companies, to hedge funds and data brokers.

Credit card data in particular is extremely valuable. Knowing how much people spend, where and on what day says a lot about consumers’ financial situations, their personal lives and the decisions they might make in the future.

In the last decade, Mastercard has increasingly capitalized on the transaction data it has access to in the course of being a payment network. Mastercard sells cardholder transaction data through third party online data marketplaces and through its in-house Data & Services division, giving many entities access to data and insights about consumers at an immense scale.

Mastercard is far from the only company engaged in data sales, nor is it necessarily the worst actor. But in its position as a global payments technology company, Mastercard has access to enormous amounts of information derived from the financial lives of millions, and its monetization strategies tell a broader story of the data economy that’s gone too far.

Mastercard sells data on third party data marketplaces

Mastercard sells bundles of cardholder transaction data to third party companies on large online data marketplaces. Here, third parties can access and use information about people’s spending to target advertisements to individuals, build models that predict consumers’ behavior, or prospect for new high-spending customers.

For example, Mastercard’s listing on Amazon Web Services Data Exchange states that companies can access data like the amount and frequency of transactions, the location, and the date and time. Mastercard creates categories of consumers based on this transaction history, like identifying “high spenders” on fast fashion or “frequent buyers” of big ticket items online, and sells these groupings, called “audiences”, to other entities. These groups can be targeted at the micro-geographic level, and even be based on AI-driven scores Mastercard assigns to consumers predicting how likely they are to spend money in certain ways within the next 3 months.

The data Mastercard monetizes on these marketplaces is in aggregated and anonymized bundles. Aggregating and anonymizing consumer data helps cut down on some of the risks associated with data monetization, but it does not stop reaching people on an individual level based on data. High-tech tools connected to these third party data marketplaces allow companies to target and reach selected individuals based on traits like past spending patterns or geographic location.

Mastercard is a listed data provider on many of the major online data marketplaces. In addition to Amazon Web Services Data Exchange, Mastercard has listings on Adobe’s Audience Marketplace, Microsoft’s Xandr, LiveRamp, and Oracle’s BlueKai, among others. Selling data on even one of these makes consumer transaction behavior available to a significant number of entities.

Mastercard has established its own data sales division

In addition to data sales on third party marketplaces, Mastercard also has its own Data & Services division. Here, Mastercard advertises access to its databases of more than 125 billion purchase transactions through its more than 25 data services products. Some products give companies the chance to pay for cybersecurity and fraud detection tools. Others are focused on the monetization of consumer information for AI-driven consumer modeling and highly-targeted advertising.

For example, Intelligent Targeting enables companies to use “Mastercard 360° data insights” for identifying and building targeted advertising campaigns aimed at reaching “high-value” potential customers. Companies can target ads to selected consumers with profiles similar to Mastercard’s models – people it predicts are most likely to spend the most money possible.

Another data services product, Dynamic Yield, offers dashboard tools allowing companies to “capture person-level data” of website or app users, do A/B consumer testing, and “algorithmically predict customers’ next purchase with advanced deep learning and AI algorithms”. One of Dynamic Yield’s data products, Element, advertises that companies can “[l]everage Mastercard’s proprietary prediction models and aggregated consumer spend insights to deliver differentiating personalization that caters to each users’ unique habits and expectations like never before.” While the transaction data Mastercard offers may be aggregated, it’s clearly used to identify targets and reach them at the individual level.

Another example is SessionM, Mastercard’s customer data management platform product, allowing companies to combine their first-party data with data from other sources to create “360 degree” profiles of consumers that can be updated in real time based on purchases.

“That gold mine of data”: Mastercard has been building its data monetization capabilities for over a decade

In the last 15 years, Mastercard’s data monetization strategies have been a growing part of its revenue stream. In 2008, Mastercard’s then head of Global Technology and Operations said in an interview that a big question for Mastercard was how to “leverage that gold mine of data that occurs when you have 18.7 billion transactions that you’re processing.” By 2013 the company had established an in-house data monetization division – then called Information Services – and was approaching online advertising and media desks about opportunities to leverage its then reportedly 80 billion consumer purchases data. In 2018, Bloomberg reported that Mastercard and Google made a deal to provide credit card data for Google’s ad measurement business.

Recently, corporate acquisitions have helped drive Mastercard’s data revenue growth. In 2019, MasterCard acquired the AdTech platform SessionM, and in 2021 bought the AI company Dynamic Yield from McDonald’s. We briefly outline both platforms in the section above.

Selling data can harm consumers

Almost every company we interact with collects some amount of data on us. Often it’s more information than they really need – and it’s often used for secondary purposes that have nothing to do with delivering the service we’re expecting to get. This way of doing business unnecessarily increases the risks for regular people whose data has become a commodity, often without their knowledge.

Security and scams

When companies engage in data harvesting and sales to third parties, it increases the personal security risks for consumers. The more companies that hold a person’s data, the more likely it is that information will end up exposed in a breach or a hack. Once exposed, consumers are much more likely to become the victim of identity theft or financial fraud, and experience serious damage to their credit score.

Data sales also increase the odds scammers will gain access to personal data, allowing for the construction of targeted predatory schemes. Data brokers that often rely on other companies’ collection of consumer data have furnished scammers looking to find ideal victims with data, like identifying patients with dementia for targeting with fake lottery scams.

Annoying and invasive targeted advertising

Data sales often flow into the advertising industry, fueling the inundation of people’s screens with ads they didn’t ask to see that range from annoying to creepily invasive. In the 1970s, the average American saw between 500-1,600 ads a day; today, powered by data-driven online advertising, it’s now estimated at 5,000 ads daily, spanning across traditional ads on TV, radio and billboards, and targeted digital ads on websites, social media, podcasts and emails.

Advertising often encourages consumers to spend more money on purchases unlikely to shore up their financial health in the long-term. Americans currently owe more than $1 trillion in credit card debt – a record high. In today’s market with rising interest rates, endless data-driven appeals to spend more money play an increasingly unhelpful and potentially dangerous role in people’s lives.

While consumers have official government channels for opting out of junk calls and junk mail, there’s little consumers can do to protect their screens from unnecessary annoying, distracting and invasive ads they didn’t ask to see and didn’t give permission to have their data fuel.

Even aggregated and anonymized data can cause harm

Some tools companies use to protect privacy are not as secure as they sound, like aggregation and anonymization. A 2015 MIT study found this was the case with anonymized credit card data. Using an anonymized data set of more than 1 million people’s credit card transactions made over 3 months, MIT researchers could identify an individual 90% of the time using the transaction information of just 4 purchases. Data that’s provided in batches also has its limitations. For instance, providing data by micro-geography, like zip+4, can in some cases end up being so specific as to point to a specific address.

Additionally, just because data is aggregated and anonymized does not mean consumers aren’t being singled out for their purchasing habits. Using high-tech automated tools, anonymized and aggregated data can be used to reach specific consumers with tailored messages or help predict a given individual’s behavior.

Mastercard should commit to a limited use data policy

Companies have taken data harvesting and sales too far. The collection and sale of people’s data is almost entirely unregulated, and virtually every major company has begun monetizing customer data in ways people are not expecting.

Mastercard should commit to a policy of limited data use by implementing the principles of data minimization and purpose specification. This would mean collecting only the data necessary for providing the services cardholders are expecting to get – access to a safe and reliable credit card – and using the data only for that purpose.

PIRG has launched a coalition with Accountable Tech, American Civil Liberties Union, Center for Digital Democracy, Electronic Freedom Foundation, the Electronic Privacy Information Center, Oakland Privacy and Privacy Rights Clearinghouse asking Mastercard to commit to a limited data use policy.

Mastercard has served as people’s credit card long before it was able to use and sell transaction data in all of the ways that modern technology enables. Growing its profit margin is not a compelling reason for Mastercard to contribute to the massive marketplaces for data.

Passing new consumer data laws and having strong enforcement will be key to curtailing today’s invisible economy for people’s data. This is an urgent task. In the meantime, companies should voluntarily implement limited use data policies, and bring their business models back in line with consumer expectations.

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October 2, 2023 at 7:35:29 PM GMT+2

GPT-4 is great at infuriating telemarketing scammers • The Registerhttps://www.theregister.com/2023/07/03/jolly_roger_telephone_company/

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California man's business is frustrating telemarketing scammers with chatbots

Will you choose Salty Sally or Whitey Whitebeard? It doesn't matter; they're both intolerable

Richard Currie Mon 3 Jul 2023 16:23 UTC

Every week there seems to be another cynical implementation of AI that devalues the human experience so it is with a breath of fresh air that we report on a bedroom venture that uses GPT-4 technology to frustrate telemarketers.

"Fight back against annoying telemarketers and evil scammers!" the Jolly Roger Telephone Company rails on its website. "Our robots talk to telemarketers so humans don't have to!"

While no one can put a price on slamming the phone down on a call center worker, some among us might get a perverse joy out of listening to them squirm under the non sequiturs of AI. And it seems to be working for Jolly Roger, which has thousands of customers subscribed for $23.80 a year.

The company has a number of bots at its disposal all with unique voices and quirks that makes them utterly infuriating to speak to from the original Jolly Roger, based on the voice of Californian founder Roger Anderson, to distracted mother Salty Sally, who keeps wanting to talk about a talent show she won, to feisty senior citizen Whitey Whitebeard and more. Samples of toe-curling conversations are all over Jolly Roger's website.

"Oh jeez, hang on, there's a bee on me, hang on," Jolly Roger tells one scammer. "There's a bee on my arm. OK, you know what? You keep talking, I'm not gonna talk, though. You keep talking, say that part again, and I'm just gonna stay quiet because of the bee."

Sprinkle in gratuitous salvos of "Suuuure" and "Mhm" and "Sorry, I was having trouble concentrating because you're EXACTLY like somebody I went to high school with so, sorry, say that part again." Five minutes later you have a cold caller pulling their hair out and hanging up.

Customers provide the phone numbers they want to protect and the subscription activates immediately. Users login to the website where they can set up whichever bot or bots they want to employ. Then, when a telemarketer calls, the user is able to merge the call with a specified or random bot. The customer can then listen to the fruits of their labor in Jolly Roger's "Pirate Porthole."

YouTubers like Kitboga have made a name for themselves by infuriating and hacking computer-based scammers in real time while they try to swindle him over the telephone, but now regular folk can do similar without having to lift a finger.

At a time when AI grifters are trying to convince the gullible to flood the ebook market with ChatGPT-generated joke books, it is heartening to see something related that is both funny and actually effective.

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July 4, 2023 at 10:04:36 PM GMT+2

Veesion, la start-up illégale qui surveille les supermarchés  – La Quadrature du Nethttps://www.laquadrature.net/2023/07/04/veesion-la-start-up-illegale-qui-surveille-les-supermarches/

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Veesion, la start-up illégale qui surveille les supermarchés

Posted on4 juillet 2023

Nous en parlions déjà il y a deux ans : au-delà de la surveillance de nos rues, la surveillance biométrique se déploie aussi dans nos supermarchés pour tenter de détecter les vols en rayons des magasins. À la tête de ce business, la start-up française Veesion dont tout le monde, même le gouvernement, s’accorde sur l’illégalité du logiciel mais qui continue à récolter des fonds et des clients en profitant de la détresse sociale

La surveillance biométrique de l’espace public ne cesse de s’accroître. Dernier exemple en date : la loi sur les Jeux Olympiques de 2024 qui vient légaliser officiellement la surveillance algorithmique dans l’espace public pour certains événements sportifs, récréatifs et culturels (on en parlait ici). En parallèle, des start-up cherchent à se faire de l’argent sur la surveillance d’autres espaces, notamment les supermarchés. L’idée est la suivante : utiliser des algorithmiques de surveillance biométrique sur les caméras déjà déployées pour détecter des vols dans les grandes surfaces et alerter directement les agents de sécurité.

L’une des entreprises les plus en vue sur le sujet, c’est Veesion, une start-up française dont on parlait déjà il y a deux ans (ici) et qui vient de faire l’objet d’un article de Streetpress. L’article vient rappeler ce que LQDN dénonce depuis plusieurs années : le logiciel déjà déployé dans des centaines de magasins est illégal, non seulement selon l’avis de la CNIL, mais aussi, selon nos informations, pour le gouvernement.

Le business illégal de la détresse sociale

Nous avions déjà souligné plusieurs aspects hautement problématiques de l’entreprise. En premier lieu, un billet publié par son créateur, soulignant que la crise économique créée par la pandémie allait provoquer une augmentation des vols, ce qui rendait nécessaire pour les magasins de s’équiper de son logiciel. Ce billet avait été retiré aussitôt notre premier article publié.

D’autres déclarations de Veesion continuent pourtant de soutenir cette idée. Ici, c’est pour rappeler que l’inflation des prix, en particulier sur les prix des aliments, alimenteraient le vol à l’étalage, ce qui rend encore une fois nécessaire l’achat de son logiciel de surveillance. Un business s’affichant donc sans gêne comme fondé sur la détresse sociale.

Au-delà du discours marketing sordide, le dispositif est clairement illégal. Il s’agit bien ici de données biométriques, c’est-à-dire de données personnelles relatives notamment à des caractéristiques « physiques ou « comportementales » (au sens de l’article 4, par. 14 du RGPD) traitées pour « identifier une personne physique de manière unique » (ici, repérer une personne en train de voler à cause de gestes « suspects » afin de l’appréhender individuellement, et pour cela analyser le comportement de l’ensemble des client·es d’un magasin).

Un tel traitement est par principe interdit par l’article 9 du RGPD, et légal seulement de manière exceptionnelle et sous conditions strictes. Aucune de ces conditions n’est applicable au dispositif de Veesion.

La Quadrature du Net n’est d’ailleurs pas la seule à souligner l’illégalité du système. La CNIL le redit clairement (à sa façon) dans l’article de Streetpress quand elle souligne que les caméras de Veesion « devraient être encadrées par un texte » . Or ce texte n’existe pas. Elle avait exprimé le même malaise au Monde il y a quelques mois, quand son directeur technique reconnaissait que cette technologie était dans un « flou juridique » .

Veesion est d’ailleurs tout à fait au courant de cette illégalité. Cela ressort explicitement de sa réponse à une consultation de la CNIL obtenu par LQDN où Veesion s’alarme de l’interprétation du RGPD par la CNIL qui pourrait menacer « 500 emplois en France » .

Plus surprenant, le gouvernement a lui aussi reconnu l’illégalité du dispositif. Selon nos informations, dans le cadre d’une réunion avec des professionnels du secteur, une personne représentant le ministère de l’Intérieur a explicitement reconnu que la vidéosurveillance algorithmique dans les supermarchés était interdite.

La Technopolice rapporte toujours autant d’argent

Tout cela ne semble pas gêner l’entreprise. Sur leur site , ils annoncent équiper plus de 2500 commerçants, dans 25 pays. Et selon les informations de Streetpress, les clients en France sont notamment Leclerc, Carrefour, G20, Système U, Biocoop, Kiabi ou encore la Fnac. Des enseignes régulièrement fréquentées donc par plusieurs milliers de personnes chaque jour.

Autre point : les financements affluent. En mars, la start-up a levé plus de 10 millions d’euros auprès de multiples fonds d’investissement. Sur le site Welcome to the Jungle, la start-up annonce plus de 100 salariés et plus de 5 millions de chiffre d’affaires.

La question que cela pose est la même que celle que nous rappelons sur ce type de sujets depuis 3 ans : que fait la CNIL ? Pourquoi n’a-t-elle pas fait la moindre communication explicite sur ce sujet ? Nous avions fait il y a deux ans une demande de documents administratifs à cette dernière, elle nous avait répondu qu’il s’agissait d’un dossier en cours d’analyse et qu’elle ne pouvait donc pas nous transmettre les documents demandés. Rien depuis.

Une telle inaction a des conséquences lourdes : outre la surveillance illégale imposée sur plusieurs milliers de personnes, la CNIL vient ici normaliser le non-respect du RGPD et faciliter la création d’une industrie de la Technopolice en laissant les investissements affluer.

Comment encore considérer la CNIL comme une autorité de « protection » de nos libertés quand la communication qui en émane sur ce sujet est qu’elle veut « fédérer et accompagner les acteurs innovants de l’écosystème IA en France et en Europe » ?

Surveillance illégale, détresse sociale, financement massif… Toutes les Technopolices se ressemblent, qu’elles soient en supermarché ou sur notre espace public. Mais pour une fois que tout le monde est d’accord sur l’illégalité d’une de ses représentantes, espérons que Veesion soit arrêtée au plus vite.

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July 4, 2023 at 8:02:47 PM GMT+2

Les cryptomonnaies par-delà le buzz | CNRS Le journalhttps://lejournal.cnrs.fr/articles/les-cryptomonnaies-par-dela-le-buzz

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Les cryptomonnaies par-delà le buzz

28.06.2023, par Salomé Tissolong

Formidable invention ou danger public ? En bientôt quinze ans d’existence, les cryptoactifs ont montré qu’ils étaient une source d’opportunités mais aussi de risques, et posent des défis aux régulateurs. Des questions sur lesquelles se penche la recherche économique.

Le 3 janvier 2009, les premiers bitcoins sont émis. Si cet événement ne fait pas grand bruit à l’époque, il vient pourtant de marquer l’histoire. « Le Bitcoin1, c’est vraiment l'acte de naissance des cryptomonnaies ! », explique Julien Prat, économiste au Centre de recherche en économie et statistique2 (Crest) et responsable de la chaire académique Blockchain@X de l’École polytechnique. Sous le pseudonyme Satoshi Nakamoto, une personne anonyme – ou un groupe de personnes – vient de réaliser une innovation majeure. Une cryptomonnaie, aussi appelée cryptoactif, est un protocole informatique associé à une base de données partagée qui permet d’effectuer des paiements de pair à pair, c’est-à-dire de manière décentralisée, sans impliquer de banque. Une petite révolution !

Une cryptomonnaie est adossée à une blockchain, une chaine de blocs : des groupes d’informations sont liés entre eux de manière chronologique. C’est un registre public partagé et inviolable où sont enregistrées toutes les transactions effectuées entre participants. « C’est la première fois qu’on arrive à combiner la blockchain avec un mode de gestion décentralisé, poursuit Julien Prat. Ainsi, le droit d'écriture n'est contrôlé par personne. C'est démocratique. »

Un programme prévoit l’émission du nombre de bitcoins : toutes les 10 minutes, des ordinateurs (dits des « mineurs ») reçoivent des jetons, en récompense de la validation des transactions et de leur inscription dans la blockchain. « Ça a tout de suite donné de la crédibilité à cette monnaie, complète Julien Prat. Et une fois qu'on peut s'engager, on peut créer de la rareté, et donc de la valeur. » Il faudra finalement peu de temps au Bitcoin pour connaître un succès mondial. Les années passent, sa valeur s’envole et des milliers d’autres cryptomonnaies voient le jour. On compte parmi elles Ethereum, la deuxième plus importante, mais aussi, Ripple, Cardano ou Solana...

Verrous scientifiques et dangers

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Au-delà d’une révolution scientifique, ces nouveaux objets financiers sont porteurs de grands défis. Un premier enjeu est lié au fonctionnement même de certaines cryptomonnaies. Dans le cas du Bitcoin notamment, qui est de loin la cryptomonnaie la plus importante aujourd’hui3, la création de nouveaux jetons dépend d’un protocole extrêmement énergivore. Le droit de « miner » ou « valider » un nouveau bloc est en effet réservé au gagnant d’un concours qui, dans le cas du bitcoin, se fait sur la résolution d’un calcul brut. C’est la méthode de la preuve de travail (proof of work).

Pour réduire l’empreinte carbone de la blockchain, la solution serait de passer de la preuve de travail (proof of work) à la preuve d'enjeu (proof of stake) qui consomme bien moins d’électricité.

« Mais cela nécessite énormément d’électricité ! Et de plus en plus ! » s’exclame le spécialiste Bruno Biais, directeur de recherche au CNRS au laboratoire Groupement de recherche et d'études en gestion à HEC4. La consommation électrique nécessaire au fonctionnement du réseau Bitcoin représenterait entre 62 TWh et 230 TWh d'électricité par an. « Pour réduire l’empreinte carbone de la blockchain, la solution serait alors de passer de la preuve de travail à la preuve d'enjeu, (proof of stake), qui consomme bien moins d’électricité », explique le chercheur. Dans ce cas, on ne se base plus sur la puissance de calcul, mais sur la capacité à mettre en jeu son capital. Mais cette transition est très complexe à réaliser pour un système décentralisé… Ethereum y est cependant parvenu en septembre 2022.

On pointe aussi du doigt la grande volatilité des cryptomonnaies et les risques de bulle spéculative. En effet, les cours des cryptomonnaies connaissent des variations très importantes. Les prix des actifs peuvent connaître une hausse extrême, puis chuter violemment quand la bulle éclate. En novembre 2021 par exemple, un jeton bitcoin valait près de 69 000 $, son record. Mais deux mois plus tard, il était retombé aux alentours de 30 000 $ ! Cela est dû à la nature même des cryptomonnaies qui ne sont adossées à aucun actif ni à l’économie d’un pays… Contrairement à l’euro ou au dollar par exemple, l’émission d’une cryptomonnaie n’est pas pilotée par une banque centrale. La valeur d’une cryptomonnaie repose donc uniquement sur la confiance qu’on lui accorde. « Tout est une question de croyance, déclare Bruno Biais. Si une monnaie classique a de la valeur, c’est aussi parce qu'on croit qu’elle a de la valeur. Donc quand les croyances changent, la valeur change. Dans le cas des monnaies officielles, c’est un peu moins fluctuant, car ces devises ont un cours légal et qu'on doit payer ses impôts avec. Donc vous voudrez toujours des euros ! »

Bruno Biais explique qu’à l’inverse, une cryptomonnaie n’est pas à l'abri qu’un jour, plus personne ne croie en sa valeur ni n’en veuille, et qu’un bitcoin vaille alors 0 $. « Et au contraire, cela pourrait un jour se stabiliser : on pourrait imaginer que cela devienne plus standard, rentre dans les mœurs, que les croyances fluctuent moins… », conclut-il, sans pouvoir prédire l’avenir. Quoi qu’il en soit, cette volatilité rend les placements très risqués pour des épargnants. « Ça va s’ils savent qu’ils prennent des risques, et qu’ils font ça pour s’amuser, comme quand on va au casino, jouer à la roulette… Mais sinon, ce n’est pas une bonne idée pour un petit épargnant d'acheter du bitcoin, en se disant qu’il prépare sa retraite ! »

L’émission d’une cryptomonnaie n’est pas pilotée par une banque centrale. Sa valeur repose donc uniquement sur la confiance qu’on lui accorde.

Les intermédiaires entre la blockchain et les utilisateurs peuvent aussi être sources de dangers. Si le principe des cryptomonnaies est celui de la décentralisation, tout un écosystème gravitant autour de ces objets financiers a en réalité émergé, et parfois pour le pire. Ces entreprises peuvent en effet entraîner leurs clients dans leur chute en cas de problème, voire en arnaquer certains… Ces dernières années ont été marquées par de nombreuses faillites sur les bourses d’échange de cryptomonnaies, ce qui s’est répercuté sur les épargnants.

On peut citer, entre autres, la plateforme d’échange et d’achat de cryptomonnaies FTX qui, basée sur des montages financiers douteux, se déclare insolvable en novembre 2022. Elle met en difficulté nombre de ses clients, qui n’ont plus accès à l’argent qu’ils avaient entreposé sur leurs comptes. FTX serait aujourd’hui endettée auprès de plus de 100 000 créanciers et devrait plus de 8 milliards de dollars5. En janvier 2023, dans un contexte de crise de confiance, la plateforme de prêts en cryptomonnaies Genesis se déclare à son tour en faillite. Elle devrait plus de 3,5 milliards de dollars à ses créanciers6.

Puisqu’elles se trouvent hors des cadres légaux et permettent de conserver son anonymat, les cryptomonnaies peuvent enfin être utilisées pour des activités répréhensibles, telles que la fraude fiscale, le blanchiment d'argent ou encore le financement du terrorisme… Julien Prat le reconnaît : « Effectivement, vous vous retrouvez dans un système financier qui est pseudonyme et qui opère en dehors des règles et de la régulation standard. » Ce qui offre donc la possibilité d’opérer en marge du système et de s’adonner à activités criminelles et des arnaques via les cryptomonnaies, comme par exemple avec les rançongiciels. L’économiste nuance cependant le propos : « Mais dans la blockchain, tout est tracé. Donc si l’on sait que telle adresse appartient à un criminel, tout ce qu’il fait est visible et enregistré en ligne. Cet argent ne pourra plus jamais être dépensé, plus personne ne voudra l'accepter, il ne sera jamais transféré dans le système financier traditionnel ! »

Vers davantage de régulation

Face à ces risques et récents scandales, quelles réponses politiques et réglementaires les pouvoirs publics peuvent-ils mettre en place pour protéger les épargnants, les investisseurs mais aussi les banques ?

L’ Europe vient de franchir un pas historique avec le règlement MiCA qui obligera les émetteurs et les négociants de cryptomonnaies à faire preuve de transparence.

« Il me semble difficile de réguler ou d'interdire les activités purement décentralisées, répond Julien Prat. Par contre, il est possible de contrôler les ponts avec le secteur régulé, en particulier lors de la conversion en monnaie fiat (monnaie adossée à une banque centrale), ce qui est déjà le cas. Le meilleur moyen de renforcer la protection contre la fraude serait d'améliorer les outils de lecture et d'analyse des données sur chaîne, en développant des méthodologies adaptées basées sur l'intelligence artificielle. »

On remarque une avancée notable en Europe, qui vient de franchir un pas historique dans l’encadrement de tout le secteur des cryptomonnaies. Le règlement MiCA (Markets in Crypto-Assets), approuvé par le Parlement européen le jeudi 20 avril 2023, obligera en effet les émetteurs et les négociants de cryptomonnaies à faire preuve de transparence. Les entreprises devront notamment recevoir le statut CASP (Crypto-Asset Service Providers) pour poursuivre leurs activités, et appliquer une politique « Know Your Customer », qui permet de vérifier l’identité des clients et de lutter contre la fraude et l’utilisation des cryptomonnaies à des fins répréhensibles. La crainte envers les cryptomonnaies et le besoin de régulation qui en découle dépendent cependant du contexte économique de la zone concernée…

Des alternatives intéressantes

Dans certains contextes, les cryptomonnaies peuvent constituer de belles opportunités : elles apparaissent comme de réelles alternatives dans des pays instables économiquement. « Quand la monnaie fonctionne plutôt bien, comme en Europe et aux États-Unis, pourquoi iriez-vous payer votre baguette en bitcoin ? Ça n’a aucun intérêt. C’est seulement pour faire des placements, rappelle Bruno Biais. Mais ça remplit un besoin dans d’autres circonstances : quand la monnaie devient dysfonctionnelle dans certains pays, il peut potentiellement servir d'alternative. »

En 2019 par exemple, quand le système bancaire s’effondre au Liban, il devient impossible de passer par les banques pour effectuer des paiements… Les cryptomonnaies deviennent alors très utiles, notamment pour des entrepreneurs ayant des activités économiques à l’international. L’usage des cryptomonnaies se répand de plus en plus dans les pays en voie de développement7 (Nigeria, Kenya, Vietnam, Inde, Pakistan…), mais on observe une application sans commune mesure au Salvador. Le bitcoin y a en effet été adopté comme monnaie légale en septembre 2021. Il n’a cependant pas connu le succès espéré au sein de la population, et n’est pas vraiment accessible aux plus âgés et aux plus défavorisés – il est nécessaire de posséder un smartphone et une connexion à Internet8. Plus encore, la grande volatilité du bitcoin pourrait faire courir de graves risques financiers à la population. « Si vous vivez dans un pays où les prix ne sont pas exprimés en bitcoin et que vous détenez des bitcoins, votre pouvoir d'achat va augmenter… ou baisser énormément », conclut Bruno Biais.

Au-delà des cryptomonnaies, l’impressionnante blockchain

« Se focaliser sur les cryptomonnaies pour parler de la blockchain, c'est un peu comme se focaliser sur les e-mails pour l'internet, plaisante Julien Prat. Il y a tellement plus de possibilités avec la blockchain ! La cryptomonnaie est la chose la plus simple à faire. » Elle ne représente en effet qu’une application possible de l’utilisation des chaînes de blocs, une technologie bien plus large, qui s’attaque à l’enjeu majeur du partage de données. « On est dans un monde dans lequel l'information est éclatée, morcelée entre les bases de données propriétaires, poursuit l’économiste. L’enjeu est d’arriver à partager des données importantes tout en protégeant la confidentialité. » Cela s’applique à une multitude de domaines : des données économiques, militaires, géostratégiques, de santé… Des nouvelles technologies utilisant les blockchains pourraient alors parvenir à allier partage données sensibles et confidentialité, notamment avec le système des « zero knowledge proof », des preuves à divulgation nulle de connaissance.

Selon le chercheur, une autre application possible est la digitalisation de la monnaie. Une monnaie numérique de banque centrale (MNBC) serait une nouvelle forme de monnaie émise par la Banque centrale, sous un format dématérialisé. L’emploi d’une base de données partagée simplifierait grandement les échanges : des transactions qui se feraient par exemple en euro numérique circuleraient directement sur une blockchain et permettraient de se passer des intermédiaires bancaires. Serions-nous à l’aube d’une nouvelle révolution ? ♦

Notes

  • 1. Bitcoin (avec majuscule) désigne le réseau, bitcoin (sans majuscule) désigne l’unité de compte de la cryptomonnaie qui repose sur le réseau homonyme.
  • 2. Unité CNRS/École polytechnique/Groupe des écoles nationales d’économie et statistiques.
  • 3. [https://fr.statista.com/statistiques/803748/parts-capitalisation-bousier...(link is external)](https://fr.statista.com/statistiques/803748/parts-capitalisation-bousiere-principales-crypto-monnaies/#:~:text=On constate ainsi que les,millions au 14 janvier 2022).
  • 4. Unité CNRS/Établissement d’enseignement supérieur consulaire des hautes-études commerciales Paris.
  • 5. https://www.numerama.com/tech/1177476-5-questions-sur-ftx-la-gigantesque...(link is external)
  • 6. https://www.coindesk.com/business/2023/01/20/genesis-owes-over-35b-to-to...(link is external)
  • 7. https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/12/13/dans-les-pays-en-develop...(link is external)
  • 8. https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/05/19/au-salvador-le-reve-auto...(link is external)
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June 29, 2023 at 10:52:29 AM GMT+2

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Les portes tournantes - Observatoire des multinationales

Des ministres qui rejoignent des multinationales, des députés qui deviennent lobbyistes ou inversement, des hauts fonctionnaires qui se mettent au service d’intérêts économiques qu’ils étaient chargés de réguler...
Enquête sur le grand brouillage des frontières entre public et privé.

Quel besoin de faire du « lobbying » au sens conventionnel du terme lorsque vous avez vos entrées privilégiées auprès des décideurs au cœur de l’État - mieux : que vous êtes, serez ou avez été l’un de ces décideurs ?

Les « portes tournantes » - autrement dit les allers-retours entre le secteur public et le secteur privé - sont sans doute l’arme fatale en matière d’influence des grandes entreprises. Non seulement elles offrent aux acteurs économiques un accès privilégié à l’information et aux décideurs, mais elles contribuent à entretenir une culture d’entre-soi et de symbiose qui gomme la frontière entre intérêt public et intérêts privés.

Il est temps de s’attaquer à une pratique qui est à la fois le moteur et le symbole de la déconnexion des élites.


Le grand mélange des genres

Un député qui, avant même la fin de son mandat parlementaire, prend les rênes du principal lobby de l’industrie agroalimentaire en France. Lobby dont l’une des employées deviendra ensuite conseillère communication du ministre de l’Agriculture, tandis qu’une autre a participé à la campagne de réélection d’Emmanuel Macron en 2022.

Des dizaines d’anciens ministres de ce même Emmanuel Macron qui partent travailler dans le secteur privé ou créent leurs propres sociétés de « conseil », et se retrouvent à faire du lobbying auprès d’anciens collègues à l’Assemblée et au gouvernement.

Deux ex premiers ministres parti pour le premier prendre la tête de la RATP, et recruté pour le second au conseil d’administration d’une grande entreprise privée, Atos, tout en restant maire du Havre et en cultivant des ambitions politiques nationales.

Une ancienne dirigeante de la Fédération bancaire française propulsée trois ans plus tard à la tête de l’Autorité des marchés financiers – autrement dit passée en quelques mois du principal lobby de la finance à l’institution chargée de réguler ce même secteur.

Un président de région qui annonce sa démission pour cause « d’impératifs familiaux » et qui rejoint quelques jours plus tard un promoteur immobilier actif dans la même région Grand-Est. Et dont on découvre à cette occasion qu’il a été rémunéré par un cabinet de lobbying parisien à hauteur de 5000 euros par mois alors même qu’il était à la tête du conseil régional.

Un secrétaire général de l’Élysée mis en examen pour prise illégale d’intérêts parce qu’il a supervisé, au nom de l’État, le destin des chantiers navals de Saint-Nazaire et du port du Havre alors même qu’il avait des liens professionnels et familiaux avec l’un de leurs principaux clients, le géant du transport maritime MSC.

"Les mobilités incessantes entre la sphère politique, la haute administration et les grandes entreprises sont devenues la norme."

Plus une semaine ne passe sans que l’on entende parler d’un ancien ministre ou un ancien député parti poursuivre sa carrière dans le secteur privé, ayant rejoint une cabinet d’avocats ou fondé une société de « conseil » pour monétiser son carnet d’adresses et son expérience des arcanes du pouvoir. En sens inverse, sous couvert d’ouverture à la « société civile », les transfuges du secteur privé sont aussi de plus nombreux au Parlement et au gouvernement.

Les élus ne sont pas les seuls concernés. Pour beaucoup de hauts fonctionnaires aussi, une carrière parsemée de passages plus ou moins longs dans le secteur privé est devenue naturelle. Les postes occupés à la tête de l’administration ou dans les cabinets ministériels ne sont parfois plus que des tremplins pour obtenir rapidement des emplois bien plus lucratifs dans les comités de direction de grandes banques ou de multinationales.


Au-delà des scandales, un enjeu démocratique

S’ils suscitent toujours autant d’indignation, les échanges de personnel entre la sphère politique, la haute administration et les grandes entreprises sont devenus silencieusement la norme, cause et symptôme à la fois du brouillage des frontières entre le public et le privé, entre le bien commun et les intérêts commerciaux.

Ces « portes tournantes » sont souvent perçues à travers un prisme éthique, celui d’élus ou de grands serviteurs de l’État qui choisiraient de « vendre leur âme » aux milieux d’affaires pour des raisons bassement vénales. Mais les cas individuels qui font scandale sont aussi – surtout ? – la pointe émergée d’un iceberg beaucoup plus profond. Les allers-retours entre le public et le privé sont devenus beaucoup plus fréquents, et il touchent tous les niveaux hiérarchiques et toutes les institutions, sans tous les garde-fous nécessaires.

Mais quel est le problème ?

Les portes tournantes sont d’abord un formidable moyen d’influence. En matière de lobbying, la capacité des grandes entreprises à recruter un ancien responsable public est souvent l’arme fatale. Ces recrutements leur offrent un accès privilégié aux décideurs, souvent décisif pour disposer des bonnes informations avant tous les autres et pour cibler les interlocuteurs pertinents, tout en étant sûres d’être entendues. Le tout sans avoir à se préoccuper des regards scrutateurs du public.

Les allers-retours public-privé contribuent à renforcer une culture de l’entre-soi, où dirigeants politiques et économiques se fréquentent quasi quotidiennement, et parfois échangent leurs rôles, en raffermissant leur vision du monde partagée à l’abri des contradicteurs.

Ce mélange des genres permanent est évidemment aussi une source inépuisable de conflits d’intérêts. Comment s’assurer qu’un responsable public évitera de favoriser une entreprise pour laquelle lui, un (ex) collègue au gouvernement, un de ses (ex) conseillers ou un (ex) directeur d’administration travaille ou a travaillé ? La vie politique est polluée par cet entrelacement de liens d’intérêts aussi innombrables qu’inextricables.

Une certaine vision biaisée du monde (et de l’économie)

L’échangisme public-privé reflète enfin le déclin programmé du sens de l’État et du service public. Car la circulation entre les deux sphères est tout sauf équilibrée. À travers les portes tournantes, ce sont les modèles, les critères et les objectifs des milieux d’affaires qui pénètrent dans la sphère publique et non l’inverse.

On dit parfois que ces mobilités seraient utiles parce qu’elles apporteraient à l’État une expérience du monde de l’entreprise, présenté comme la quintessence de la « vie réelle ». En réalité, outre qu’elles ne concernent que des postes de direction, pas vraiment représentatifs de la diversité sociale, la plupart des portes tournantes n’ont rien à voir avec une quelconque réalité économique. Les anciens responsables politiques se voient généralement confier des tâches de conseil, de lobbying ou d’affaires publiques. Ils continuent à baigner dans le même monde de symbiose public-privé, mais de l’autre côté de la barrière. Loin de refléter une conversion à « l’entrepreneuriat », ces débauchages sont plutôt le symptôme d’un monde des affaires qui vit aux crochets de la puissance publique.

Loin de refléter une conversion à « l’entrepreneuriat », ces débauchages sont plutôt le symptôme d’un monde des affaires qui vit aux crochets de la puissance publique.

« Portes tournantes » ou « pantouflage » ?

En France, on parle traditionnellement de « pantouflage » pour désigner les reconversions d’anciennes personnalités politiques ou d’anciens haut fonctionnaires dans le secteur privé. Le terme, issu du jargon de la haute fonction publique, évoque le confort matériel que les grands commis de l’État sont réputés aller chercher, en fin de carrière, dans le giron des grandes entreprises. Du coup, le terme de pantouflage a presque un côté inoffensif, comme une manière un peu coupable, mais aussi au fond assez compréhensible, de se compenser pour les sacrifices faits au service de l’intérêt général.

En réalité, il y a longtemps que les passages du public au privé ne se font plus seulement en fin de carrière, et plus seulement dans un seul sens. Il ne s’agit plus d’allers simples et définitifs – qui d’une certaine manière maintiennent la légitimité de la frontière en même temps qu’ils la franchissent – mais d’un aller-retour incessant qui a pour effet d’abolir les frontières. Aujourd’hui, la carrière typique de nos dirigeants est de commencer dans les ministères ou les cabinets, puis de passer quelques années dans le privé, puis de revenir dans le public pour un nouveau « challenge », avant de repartir dans le privé.

Les controverses occasionnées par le recrutement ou le retour dans le giron public d’anciens lobbyistes ou cadres de grandes entreprises ont obligé à inventer le terme barbare de « rétro-pantouflage », voire de « rétro-rétro-pantouflage ». Le terme de portes tournantes, utilisé en anglais (revolving doors) et dans d’autres langues, nous paraît plus facile à manier, et bien plus pertinent.

Bien sûr, il n’y a pas qu’en France

Des anciens ministres allemands, espagnols ou britanniques ont eux aussi été débauchés par des géants de l’industrie ou de la finance. À Bruxelles, l’échangisme entre milieux d’affaires et institutions européennes est une habitude tellement enracinée, depuis les stagiaires jusqu’aux échelons supérieurs de la Commission, qu’ils n’attire presque plus l’attention, sauf pour les cas les plus extrêmes. Par exemple lorsque l’ancien président de la Commission José Manuel Barroso va grossir les rangs de Goldman Sachs. Ou que Nellie Kroes, ancienne commissaire en charge du Numérique et de la Concurrence, s’empresse en fin de mandat d’aller travailler pour Uber.

En France, la pratique est désormais tout aussi solidement ancrée, d’autant qu’elle se conjugue avec une tradition ancienne de collaboration entre l’État et les grands groupes financiers et industriels.


De quoi la Macronie est-elle le nom ?

Les « portes tournantes » atteignent le sommet même de l’État. Emmanuel Macron, locataire actuel du palais de l’Élysée, a passé plusieurs années au sein de la banque d’affaires Rothschild, entre un poste à l’inspection des Finances à Bercy et sa nomination comme secrétaire général adjoint du président François Hollande. Qui sait d’ailleurs ce qu’il fera à l’issue de son deuxième quinquennat ?

Les premiers ministres successifs d’Emmanuel Macron se fondent dans le même moule. Édouard Philippe, en sus de sa carrière politique, est à l’origine un haut fonctionnaire du Conseil d’État qui a travaillé pour un cabinet d’avocats d’affaires, puis en tant que responsable des affaires publiques – autrement dit lobbyiste en chef – du groupe nucléaire Areva. Après avoir quitté Matignon, il a intégré le conseil d’administration du groupe Atos tout en conservant ses fonctions et ses ambitions politiques. Jean Castex, pour sa part, a pris la direction de la RATP après avoir brièvement fondé une société de conseil.

Plus d’un tiers des ministres d’Emmanuel Macron venaient du monde des grandes entreprises...

En 2017, beaucoup des nouveaux ministres d’Emmanuel Macron sont arrivés eux aussi en droite ligne du monde des grandes entreprises. C’est le cas de l’actuelle Première ministre Élisabeth Borne, qui a alterné divers postes dans des cabinets ministériels ou à la mairie de Paris avec des passages au sein de grands groupes – la SNCF, le groupe de BTP Eiffage, puis la RATP. Mais la liste inclut aussi Emmanuelle Wargon et Muriel Pénicaud (toutes deux de Danone), Amélie de Montchalin et Laurence Boone (Axa), Amélie Oudéa-Castera (Axa et Carrefour), Benjamin Griveaux (Unibail), Cédric O (Safran), Olivia Grégoire (Saint-Gobain), Brune Poirson (Veolia), et quelques autres.

En tout, selon notre décompte, plus d’un tiers de tous les ministres et secrétaires d’État entrés au gouvernement depuis l’accession à l’Élysée d’Emmanuel Macron (33 sur 96) étaient issus ou avaient passé une partie de la décennie précédente au service d’une ou plusieurs grandes entreprises.

… et la moitié y sont retournés

Combien d’anciens ministres et secrétaires d’État sont-ils retournés dans le privé après leur sortie du gouvernement ? Selon notre même décompte, c’est le cas d’environ la moitié d’entre eux (27 sur 53 qui ont quitté le gouvernement). Le quotidien Le Monde, qui a réalisé sa propre estimation en ne tenant compte que des portefeuilles ministériels, avance quant à lui une proportion d’un tiers.

Brune Poirson, venue au gouvernement de chez Veolia, est aujourd’hui directrice du développement durable du groupe hôtelier Accor. Muriel Pénicaud a rallié le conseil d’administration du groupe Manpower – un sujet dont elle maîtrise sans doute tous les rouages en tant qu’ancienne ministre du Travail –, tandis que Sibeth Ndiaye a été recrutée par son concurrent Adecco. Jean-Michel Blanquer, en plus de rejoindre un cabinet d’avocats, doit prendre la direction d’un réseau d’écoles de formation lancé par Veolia, Terra Academia. Certains comme Julien Denormandie, ex ministre de la Ville puis de l’Agriculture, ou Jean-Baptiste Djebbari, ancien ministre des Transports, sont de véritables *serial pantoufleurs*. Le premier, en plus de créer sa société de conseil, a rejoint une start-up, une société immobilière et un établissement de crédit. Le second a rejoint Hopium, une entreprise spécialisée dans la voiture à hydrogène (qu’il a quittée au bout d’un an), lancé sa propre société de conseil, et entendait se faire embaucher par le géant du transport maritime CMA-CGM, mais s’est heurté au veto de la Haute autorité de la transparence pour la vie publique (HATVP), autorité indépendante chargée de réguler l’éthique publique.

De même pour Cédric O, qui voulait rejoindre Édouard Philippe au conseil d’administration d’Atos. Problème : en tant que secrétaire d’État, il avait validé l’attribution de soutiens publics au géant du numérique. Dans une tribune publiée en janvier dans Le Monde, avant que son conflit avec la HATVP soit porté sur la place publique, il s’était plaint que qu’il lui soit difficile « d’aller travailler pour une entreprise du numérique française – dont il y a une probabilité importante qu’elle ait été aidée par l’État français ces dernières années ».

La boîte noire des sociétés de « conseil »

Pour la plupart des anciens ministres, la reconversion dans le privé se fait sous la forme de la création d’une société de « conseil ». Selon les informations publiquement disponibles, c’est le cas pour au moins Jean Castex (qui a fait radier cette société lors de sa nomination à la RATP), Roselyne Bachelot, Jean-Michel Blanquer, Christophe Castaner, Sophie Cluzel, Julien Denormandie, Jean-Baptiste Djebbari, Richard Ferrand, Laura Flessel, Delphine Geny Stephann, Benjamin Griveaux, Nicolas Hulot, Jean-Yves Le Drian, Mounir Mahjoubi, Roxana Maracineanu, Élisabeth Moreno, Françoise Nyssen, Cédric O, Florence Parly, Muriel Pénicaud, Laurent Pietraszewski, Brune Poirson, François de Rugy et Adrien Taquet. Soit près de la moitié des anciens ministres et secrétaires d’État d’Emmanuel Macron, et la quasi totalité de ceux qui sont partis dans le privé.

Créer une société de conseil est un bon moyen de rester discret sur ses activités réelles.

Créer ce type de société est un bon moyen de rester discret sur ses activités réelles, au bénéfice de qui elles s’exercent, et les revenus qu’on en tire. Elles ne publient pas leurs comptes et ne sont pas tenus de divulguer le nom de leurs clients. Elles permettent également d’échapper en partie à la surveillance de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique. Ainsi, lorsque le fonds d’investissement Raise a annoncé haut et fort à l’automne 2022 s’être attiré les talents de Julien Denormandie, cela n’a pas manqué de susciter des interrogations vu que ce recrutement n’avait pas été officiellement examiné par la Haute autorité. L’explication ? Julien Denormandie aurait en réalité été recruté sous la forme d’une prestation de sa société de conseil. On se demande combien de missions similaires réalisées par des ex ministres passent sous les radars grâce à ce tour de passe-passe. L’annonce de l’embauche de Jean-Michel Blanquer par Veolia suscite les mêmes questionnements, récemment relayées par Libération.

La valse publique-privée des conseillers ministériels

En 2017, le mot d’ordre de l’ouverture à la société civile a entraîné un afflux de conseillers venus des entreprises, voire carrément de lobbys, dans les cabinets ministériels. L’un des cas les plus emblématiques – et les plus controversés - a été le recrutement d’Audrey Bourolleau, directrice du principal lobby viticole français, Vin et Société, comme conseillère agriculture, pêche, forêt et développement rural de l’Élysée. Elle semble d’ailleurs avoir utilisé cette position pour favoriser la cause de ses anciens employeurs.

À la fin de la mandature, de nombreux conseillers ministériels sont repartis en sens inverse. Selon un autre décompte effectué par les journalistes du Monde, sur les 602 conseillers en postes en janvier 2022, 91 avaient rejoint en décembre le secteur privé. Pour beaucoup, c’était pour la première fois de leur carrière. D’autres étaient déjà des habitués des allers-retours dans le monde de l’entreprise. Benoît Ribadeau-Dumas par exemple, directeur de cabinet d’Édouard Philippe à Matignon, avait auparavant quitté le conseil d’État pour occuper des postes au sein de Thales, CGG et Zodiac (armement). En 2020, il est reparti dans le privé, d’abord au sein du réassureur Scor, ensuite en créant une société de conseil et en intégrant Exor, le groupe de la famille Agnelli, principal actionnaire du constructeur Stellantis. Il siège également au conseil d’administration de Galileo Global Education, dont il sera question plus bas.

Des reconversions très ciblées

De manière symptomatique, ces reconversions se sont souvent faites dans les mêmes secteurs d’activité que les conseillers étaient chargés de superviser. L’ex-cheffe de cabinet du ministre de l’Agriculture Marc Fesneau a rejoint le lobby des pesticides Phyteis. Une autre de ses conseillères travaille aujourd’hui pour le lobby des céréales. Des conseillers de Jean-Baptiste Djebarri au ministère des Transports ont suivi son exemple en partant chez Air France, CMA-CGM et Faurecia (équipements automobiles).

Dans le sens inverse, la nouvelle génération de ministres et de secrétaires d’État, tout comme les rescapés des gouvernements précédents, ont été cherché une partie de leurs conseillers dans les entreprises et les lobbys des secteurs dont ils ont pourtant la responsabilité. Le nouveau ministre des Armées Sébastien Lecornu a par exemple choisi comme conseiller pour l’industrie et l’innovation un ancien de chez Airbus et Thales. Au ministère de l’Agriculture, Marc Fesneau a remplacé ses conseillères sortantes en allant recruter en mai 2023 du côté du lobby de l’industrie agroalimentaire et de celui des grandes coopératives agricoles.

Doubles casquettes au Parlement

À l’Assemblée nationale et au Sénat aussi, le mot d’ordre de « l’ouverture à la société civile » a entraîné une augmentation, à partir de 2017, du nombre de parlementaires venus de grandes entreprises, ou carrément de cabinets de lobbying comme Olivia Grégoire (Avisa Partners) ou la présidente du groupe macroniste Aurore Bergé (Spintank, Agence Publics et Hopscotch). Entre 2017 et 2022, Veolia comptait ainsi pas moins de trois députées issues de ses rangs dans l’hémicycle, dont la secrétaire d’État Brune Poirson aujourd’hui chez Accor. Aujourd’hui encore, on compte quatre employés d’EDF dans les rangées de l’Assemblée, dont la macroniste Maud Brégeon, porte-parole d’Emmanuel Macron lors des récentes campagnes électorales, cheffe de file parlementaire et médiatique de la majorité sur le dossier du nucléaire.

En sens inverse, de nombreux députés macronistes qui n’ont pas été réélus en 2017 ou n’ont pas souhaité se représenter sont venus grossir les effectifs du secteur privé, et en particulier des lobbys. Mickaël Nogal a même abandonné son mandat prématurément, quelques mois avant les élections de 2022, pour prendre la direction de l’Ania, principal lobby de l’industrie agroalimentaire. Un juste retour des choses puisqu’avant d’être député, il était déjà lobbyiste pour le groupe Orangina. Jean-Baptiste Moreau, ancien agriculteur et pourfendeur de l’alimentation « vegan » et des écologistes durant la mandature, travaille désormais pour le cabinet de lobbying RPP. Jean-Charles Colas-Roy, ancien député de l’Isère, a quant à lui pris la direction de Coénove, association de lobbying de l’industrie gazière.

Casseroles politiques

Beaucoup des affaires qui entachent aujourd’hui la Macronie sont liées à la pratique trop assidue des portes tournantes, qui créent de véritables bourbiers de conflits d’intérêts.

Le secrétaire général de l’Élysée Alexis Kohler est aujourd’hui mis en examen pour prise illégale d’intérêts parce qu’il a participé activement à plusieurs décisions stratégiques relatives à la gestion de STX (Chantiers de l’Atlantique) et du port du Havre alors qu’il entretenait des liens personnels et familiaux avec l’un de leurs principaux clients et partenaires, le géant du transport maritime MSC. Entre deux fonctions à Bercy et à l’Élysée, il a même été quelques mois directeur financier de MSC, au moment même où il participait à la première campagne présidentielle d’Emmanuel Macron.

Dans l’affaire Alstom, une partie des soupçons s’oriente sur le financement de la première campagne présidentielle d’Emmanuel Macron par des parties qui auraient bénéficié du rachat controversé des activités énergie du champion français par General Electric. Hugh Bailey, conseiller d’Emmanuel Macron à Bercy au moment des faits, a d’ailleurs pris la tête de General Electric France en 2019.

Ce sont loin d’être les seules casseroles que traînent derrière eux les alliés politiques d’Emmanuel Macron. L’actuelle première ministre Élisabeth Borne, d’abord en tant que principale conseillère de Ségolène Royal puis en tant que ministre des Transports, a joué un rôle clé dans la signature de contrats très controversés avec les concessionnaires autoroutiers, alors qu’elle a elle-même travaillé pour l’un d’entre eux, Eiffage. Roland Lescure, actuel ministre de l’Industrie, s’est fait le fer de lance de la privatisation avortée d’Aéroports de Paris au Parlement et dans les médias, sans préciser que l’un des principaux repreneurs potentiels n’était autre que son ancien employeur, la Caisse des dépôts et placements du Québec.

L’apogée d’une tendance de long terme

La pratique des portes tournantes, longtemps restée discrète voire honteuse, est désormais assumée comme telle au plus haut de l'État.

Emmanuel Macron n’est certes pas le premier dirigeant de la République à pratiquer l’échangisme public-privé. Georges Pompidou a lui aussi passé quelques années dans la même banque Rotschild dans les années 1950. Plus récemment, d’anciens ministres de François Hollande sont eux aussi partis dans le secteur privé, à l’image de Fleur Pellerin (fonds d’investissement Korelya et Crédit mutuel, entre autres), Axelle Lemaire (Roland Berger) ou Myriam El Khomri, qui a créé une société de conseil. L’habitude de recruter des conseillers dans le secteur privé existait déjà, quand bien même elle s’est renforcée. Et le Parlement avait déjà connu son lot d’affaires retentissantes, à commencer par les révélations sur les douteuses activités de « conseil » de François Fillon au profit du CAC40 et de la Russie.

Pourtant, on peut considérer qu’un pas a bien été franchi en 2017. Jamais l’échangisme entre l’État et milieux d’affaires ne s’était trouvé à ce point normalisé et légitimé que sous les deux derniers quinquennats. Le grand carrousel public-privé ne concerne pas seulement le président, mais aussi ses principaux conseillers, ses ministres et nombre de députés de sa majorité.


Quand régulateurs et régulés échangent leurs places

Quoi de plus efficace pour convaincre un décideur que de lui envoyer... un de ses anciens collègues ? Les cabinets de lobbying et les associations industrielles raffolent des profils d’ex élus ou hauts fonctionnaires, particulièrement s’ils avaient des responsabilités dans le secteur d’activité qui les intéresse directement. Carnet d’adresses, maîtrise technique des dossiers et des rouages de l’administration, facilité d’accès aux décideurs... Ces recrutements ont de nombreux avantages.

La conséquence, c’est que lorsque les représentants de l’État s’assoient à la même table que les représentants de l’industrie qu’ils ont pour rôle de superviser et de réguler, ils se retrouvent souvent avec pour interlocuteurs...une majorité d’anciens collègues. Si l’on compare leurs profils et leurs parcours, il devient de plus en plus difficile de discerner une différence entre régulateurs et régulés.

Petits arrangements entre amis

Du côté du ministère des Finances, il serait inimaginable de commencer à travailler sur un projet de loi ou de réglementation sans en parler à la Fédération bancaire française.

Prenons le cas de la Fédération bancaire française (FBF), principal lobby de la finance en France. Du côté du ministère des Finances, il serait inimaginable de commencer à travailler sur un projet de loi ou de réglementation sans les rencontrer et récolter leur avis bien en amont, avant même que les parlementaires et a fortiori la société civile soient même avertis de leurs projets. Ils pourront d’ailleurs échanger en toute confiance, puisque leurs interlocuteurs ne seront autres que d’anciens collègues de Bercy. Si la présidence de la FBF est assurée, de manière tournante, par l’un ou l’autre des patrons de BNP Paribas, Société générale, Crédit agricole ou BPCE (eux-mêmes issus des rangs de la haute fonction publique), le comité de direction de la fédération est composé majoritairement d’anciens serviteurs de l’État : trois membres du comité exécutif, dont la directrice générale Maya Attig, viennent de Bercy, une autre a occupé diverses fonctions dans des cabinets ministériels ou de collectivités locales, et un autre encore, conseiller à la sécurité, vient du ministère de l’Intérieur. Seul un membre sur six a effectué une carrière « normale » dans le privé, sans passage par le secteur public.

Le mouvement se fait aussi en sens inverse. Marie-Anne Barbat-Layani, il y a peu déléguée générale de cette même Fédération bancaire française, est aujourd’hui à la tête de l’Autorité des marchés financiers (AMF). C’est l’aboutissement d’une carrière de plus en plus typique : la direction du Trésor, la Représentation française auprès de l’Union européenne, le Crédit agricole, le cabinet du Premier ministre François Fillon, puis la FBF et enfin, après les trois années réglementaires à Bercy, la direction de l’AMF. Pour symbolique qu’elle soit, cette nomination n’est en réalité que le dernier épisode en date d’une longue histoire d’allers-retours entre les plus hauts échelons de l’État et les géants bancaires – particulièrement, comme on y reviendra, pour les inspecteurs généraux des finances. En 2015, la nomination de François Villeroy de Galhau, dirigeant de BNP Paribas, à la tête de la Banque de France, avait déjà fait scandale.

Télécoms, numérique, énergie : la fabrique de l’entre-soi

Le secteur des télécoms est lui aussi particulièrement propice aux échanges de places entre secteur public et secteur privé. Le patron de la Fédération française des télécoms est lui aussi un ancien des autorités de régulation Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse) et Arcom (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, issue de la fusion entre CSA et Hadopi) ainsi que du ministère du Numérique. Un autre membre du comité de direction a travaillé dans différents ministères après avoir été assistant parlementaire, tout comme un de ses collègues qui a ensuite, lui, été conseiller le maire du XIXe arrondissement de Paris. Une autre encore a travaillé pour le CSA et le ministère de la Culture.

mpossible de ne pas évoquer non plus le secteur de l’énergie. Dans l’équipe de l’Union française de l’électricité, au moins deux personnes viennent de la Commission de régulation de l’énergie, autorité chargée de superviser le secteur, tandis qu’une autre a travaillé pour deux autres autorités indépendantes, l’Autorité de la concurrence et l’Arafer (transport).

Dans d’autres lobbys sectoriels, la proportion de cadres issus de la fonction publique n’est pas aussi caricaturale, mais reste néanmoins importante. L’actuel directeur du LEEM, le lobby de l’industrie pharmaceutique en France, est un ancien de l’Agence du médicament et du ministère de la Santé.

Les GAFAM s’acclimatent aux traditions françaises

De plus en plus critiqués, les géants américains du web ont dû muscler ces dernières années leur machinerie de lobbying en France et en Europe, et ils ont immédiatement compris l’intérêt de faire un usage stratégique des portes tournantes.

Le directeur des affaires publiques Europe d’Amazon est par exemple un ancien conseiller à Bercy et Matignon et maître des requêtes au Conseil d’État. Le géant de l’e-commerce peut également compter sur les services d’un ancien de l’Arcom (ex CSA). Idem chez Apple, Microsoft, Facebook, Uber ou Airbnb. Mais c’est Google qui remporte la palme dans ce domaine. Parmi ses lobbyistes, on trouve ou on a trouvé un ancien de l’Autorité de régulation des télécommunications et du ministère des Affaires étrangères, une ancienne représentante de la direction du développement des médias pour la société de l’information à Matignon, un ancien maître des requêtes au Conseil d’État, une ancienne du cabinet du ministère de l’Industrie, et un ancien directeur général de l’Arcep, Benoît Loutrel.

La symbiose public-privé

À l’image de la nomination de Marie-Anne Barbat-Layani à l’AMF, les autorités indépendantes de régulation voient aussi désormais arriver à leur tête des transfuges du secteur privé.

Ces mouvements de personnel existent aussi au niveau européen. En 2020, Airbus a ainsi recruté l’ancien patron de l’Agence européenne de défense. La même année, c’est le patron de l’Autorité bancaire européenne qui a rejoint l’Association pour les marchés financiers en Europe (AFME), l’un des principaux lobbys du secteur à Bruxelles. Comble du comble, l’Autorité bancaire s’apprêtait à embaucher, pour le remplacer ... un ancien dirigeant de l’AFME ! Elle y a finalement renoncé sous le feu des critiques venant notamment du Parlement européen.

Pourquoi les échanges de personnels entre régulateurs et régulés sont-ils particulièrement importants dans des secteurs comme la finance ou le numérique ? Ce sont des domaines d’activités très régulés et dont la compréhension requiert un certain niveau d’expertise technique – laquelle est difficile à trouver en dehors des grandes entreprises concernées. Les réglementations sont souvent négociées pied à pied avec les industriels, ce qui les rend encore plus difficiles à maîtriser pour le commun des mortels. Cela crée un cercle vicieux où, au mieux, les experts du secteur public ou privé font affaire entre eux loin des regards des citoyens, et, au pire, les régulateurs recrutent d’anciens banquiers parce qu’ils sont les seuls à pouvoir comprendre les régulations qu’ils sont censés appliquer... vu que ce sont eux qui les ont conçues.

McKinsey, Capgemini : portes tournantes contre contrats de conseil

L’« affaire McKinsey » a mis en lumière le rôle croissant des consultants en stratégie dans la conception et la mise en œuvre des politiques publiques. Rien que pour l’année 2021, l’État a dépensé la bagatelle de 2,5 milliards d’euros au profit de ces cabinets, pour des travaux dont la qualité est souvent questionnée. Ce juteux « business » se nourrit lui aussi de portes tournantes. La Direction interministérielle à la transformation publique compte en son sein de nombreux anciens employés de cabinets, alors même qu’elle est chargée de coordonner une partie des missions de conseil commandées par l’État. Un de ses chefs de service vient par exemple de Capgemini.

En 2021, le cabinet Roland Berger est allé jusqu'à proposer à Bercy l'aide... d'une ancienne secrétaire d'État, Axelle Lemaire

De leur côté, les cabinets raffolent des profils d’anciens hauts fonctionnaires. Capgemini, par exemple, a recruté en août 2022 l’ancien conseiller chargé de l’approvisionnement stratégique, électronique et numérique au ministère chargé de l’Industrie. Ces débauchages constituent ensuite des arguments de poids pour décrocher des marchés publics. En 2021, le cabinet Roland Berger est allé jusqu’à proposer à Bercy l’aide... d’une ancienne secrétaire d’État, Axelle Lemaire.

Transports, éducation, santé : un rouage essentiel de la machine à privatiser

Les grands pantoufleurs des années 1980 et 1990 étaient souvent les hauts fonctionnaires qui préparaient la privatisation d’entreprises publiques, et finissaient par prendre la direction de ces dernières, à l’image de l’ancien patron de GDF Jean-François Cirelli, aujourd’hui à la tête de BlackRock France. Aujourd’hui, ce sont ceux qui préparent les « ouvertures à la concurrence ». Qui dit libéralisation dit nouvelles opportunités de profits, et comment mieux les saisir que de s’adjoindre les services des anciens responsables publics qui ont eux-mêmes élaboré le cadre réglementaire de la libéralisation et en connaissent tous les rouages, ou bien connaissent personnellement les futurs clients qui devront signer les marchés ?

Après le transport aérien, les télécommunications, l’énergie et les services postaux (entre autres), ce sont aujourd’hui les secteurs des transports urbains et des trains régionaux qui passent sous la loi du marché. Conséquence directe : les entreprises du secteur recrutent d’anciens décideurs à tour de bras. Si l’ancien Premier ministre Jean Castex a pris la tête de la RATP, son concurrent Transdev a recruté son ancienne conseillère chargée des transports, Alice Lefort, de même que deux anciennes conseillères du ministre des Relations avec les collectivités territoriales Joël Giraud, un cadre d’Ile-de-France Mobilités, et un directeur adjoint de cabinet à la région Grand Est, selon le décompte du magazine Challenges.

Ce qui vaut aujourd’hui pour les transports vaudra-t-il demain pour l’éducation ou la santé, futures frontières de l’ouverture à la concurrence ? C’est ce que l’on peut soupçonner à voir la politique récente de recrutement de Galileo, révélée par Libération. Cette multinationale de l’enseignement supérieur privé a fait venir à son C.A. l’ex ministre Muriel Pénicaud et l’ancien directeur de cabinet à Matignon Benoît Ribadeau-Dumas, et s’est également adjoint les services de Martin Hirsch (ancien Haut commissaire aux solidarités et directeur des hôpitaux de Paris) et de l’ancien PDG de la SNCF Guillaume Pépy.


« Le lobby, c’est l’État »

« En France, le lobby, c’est l’État », disait une ancienne ministre de l’Environnement. Elle parlait du nucléaire, mais le même constat pourrait être fait sur bien d’autres dossiers. Dans certains ministères, une bonne partie des responsables publics sont déjà largement acquis à la cause des intérêts économiques qu’ils sont chargés de superviser, de sorte qu’il n’y a même pas besoin de les « influencer ». Ce sont au contraire eux qui se chargeront de faire du lobbying auprès des autres ministères.

Si les personnels des ministères, des autorités de régulation et des entreprises sont issus du même moule, il y a peu de chances qu'ils remettent en cause le modèle dominant.

Cette solidarité au sommet se construit en particulier au niveau des grandes écoles et des grands corps de l’État, viviers des dirigeants du public comme du privé, comme les Mines ou l’Inspection générale des finances. Si les personnels des ministères, les dirigeants des autorités de régulation et les cadres des entreprises sont tous issus du même moule et du même cénacle et s’échangent régulièrement leurs places, il y a peu de chances qu’ils remettent en cause le modèle dominant qui fait leur prospérité collective, qu’il s’agisse de la haute finance dérégulée, du nucléaire ou de l’agriculture industrielle.

L’Inspection générale des finances (IGF), machine à pantoufler

Quel est le point commun entre Emmanuel Macron, François Villeroy de Galhau, Marie-Anne Barbat-Layani, Jean-Pierre Jouyet, François Pérol, Pascal Lamy, Alain Minc, le directeur de Bpifrance Nicolas Dufourcq, et les anciens patrons d’Orange, Saint-Gobain ou la Société générale ? Ils sont tous issus du corps des inspecteurs des finances, et ils ont tous alterné des postes à haute responsabilité dans le public et dans le privé.

Ils sont loin d’être l’exception puisque selon un décompte réalisé par Basta ! sur les promotions successives de l’IGF entre 1975 et 2019, 59% des inspecteurs des finances ont fait au moins un passage dans le secteur privé, et plus d’un tiers ont travaillé pour une grande banque.

Avec un tel niveau d’entre-soi, comment s’étonner que le secteur financier reste aussi mal régulé ? Suite à la crise financière de 2008, de nombreuses voix s’étaient élevées pour réclamer de remettre la finance sous contrôle. Les géants du secteur ont su trouver les moyens de tuer ces velléités dans l’oeuf. Le projet de loi français sur la « séparation bancaire » de 2013, par exemple, a été vidé de sa substance depuis l’intérieur même de Bercy, par un comité baptisé « comité BNP Paribas » du fait du profil de ses membres. Parmi les principaux responsables de cette échec organisé, Ramon Fernandez, alors directeur du Trésor, est aujourd’hui chez le géant du transport maritime CMA-CGM après avoir passé plusieurs années chez Orange, tandis que le principal conseiller pour le secteur financier du Premier ministre de l’époque, Nicolas Namias, est président du directoire de BPCE.

Gardiens du temple atomique

Le nucléaire est un autre secteur éminent de convergence d’intérêts public-privé, autour duquel se coalisent des grandes entreprises, des institutions de recherche et différents rouages de l’appareil d’État. Le corps des Mines, dont on retrouve des représentants partout où se décide la politique énergétique de la France, est le gardien du temple atomique depuis les entreprises jusqu’au plus haut de l’État en passant par le Commissariat à l’énergie atomique, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) ou l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN).

Il s’incarne aujourd’hui dans des personnalités comme Bernard Doroszczuk, le président de l’Autorité de sûreté nucléaire ou encore Antoine Pellion, conseiller Energie-environnement à Matignon et auparavant à l’Elysée (qui a travaillé naguère pour Areva). Les patrons de TotalEnergies, Thales, Engie, Valeo, Orano, entre autres, sont également issus du corps des Mines, de même que Jacques Attali et des politiques comme François Loos, Hervé Mariton ou le maire de Rouen Nicolas Mayer-Rossignol. Cette omniprésence à tous les niveaux de décision explique que les partisans de l’atome aient réussi, durant des années, à contrecarrer la mise en œuvre effective des objectifs officiels de réduction de la part du nucléaire... jusqu’à ce que ces objectifs soient finalement abandonnés !

La diplomatie française au service du pétrole

Les intérêts des multinationales tricolores dictent de plus en plus la politique étrangère de la France. Sous couvert de « diplomatie économique », le gouvernement en vient même à défendre bec et ongles à des projets pétroliers extrêmement controversés comme ceux que TotalEnergies veut développer aujourd’hui en Ouganda et en Tanzanie. Malgré les critiques, l’ambassadeur de France sur place, le ministère des Affaires étrangères et l’Élysée ont tous apporté un soutien actif à la conclusion des contrats.

Ce soutien s’explique par les liens étroits entre TotalEnergies et la diplomatie française, construits à grands coups de portes tournantes. Conseillers de l’Elysée, conseiller spécial du ministre de la Défense, diplomates, directrice de la diplomatie économique au Ministère... Les exemples sont nombreux. En 2022, c’est du côté du ministère des Armées que le groupe pétrolier a été recruter, s’assurant les services des anciens conseillers pour les affaires industrielles et pour l’Afrique.

La représentation française à Bruxelles, étape obligée dans les carrières publiques-privées ?

On dénonce souvent le poids et l’influence des lobbys à Bruxelles, mais parmi les institutions européennes, la moins transparente est sans doute le Conseil, où les États membres se retrouvent à huis clos pour négocier des compromis au nom de leurs « intérêts supérieurs », souvent confondus avec ceux des grandes entreprises. Un nombre non négligeable de hauts fonctionnaires de Bercy qui pantouflent ensuite dans le secteur privé ont fait un passage à la Représentation française auprès de l’UE, chargée de ces négociations. Le diplomate Pierre Sellal, deux fois Haut représentant de la France à Bruxelles de 2002 à 2009, puis de 2014 à 2017, a siégé au conseil d’administration d’EDF et travaille aujourd’hui pour un cabinet d’avocats d’affaires, August Debouzy.

Le même phénomène s’observe à tous les échelons de la hiérarchie. Un conseiller sur l’énergie à la représentation française à Bruxelles a par exemple travaillé pour TotalEnergies et d’anciens conseillers en énergie sont devenus lobbyistes pour Engie, Arianespace et EDF Renouvelables. De même, d’anciens conseillers sur les questions financières à la représentation travaillent désormais pour la Société générale, Amundi ou encore pour la Fédération bancaire française. Un conseiller en matière de justice et d’affaires intérieures a travaillé pour Safran pendant dix ans.

Une haute fonction publique-privée

Le débauchage d’anciens responsables publics est une stratégie d’influence que l’on retrouve partout : à Bruxelles, dans les différentes capitales européennes, aux États-Unis et ailleurs. En France, cependant, les portes tournantes viennent s’inscrire dans une tradition plus ancienne de consanguinité entre l’État et les grandes entreprises. Elles contribuent à consolider ce que l’on pourrait appeler une « haute fonction publique-privée », qui sait imposer sa vision du monde par-delà les alternances politiques.


Près de la moitié du CAC40 a un patron issu des grands corps de l’État

Un grand nombre des patrons du CAC40 ont passé une bonne partie de leur carrière dans la haute administration et les cabinets ministériels. En plus de remplir leur carnet d’adresses et de cultiver leurs liens personnels avec les décideurs, ce passage par le secteur public leur permet aussi d’entretenir l’illusion qu’ils continuent à incarner d’une certaine manière la France et ses intérêts, même si en pratique ils pensent surtout à choyer leurs actionnaires.

Patrick Pouyanné, le PDG de TotalEnergies, est par exemple issu de Polytechnique et du corps des Mines. Passé par le ministère de l’Industrie et dans les cabinets d’Édouard Balladur et François Fillon dans les années 1990, il rejoindra ensuite l’entreprise pétrolière publique Elf, absorbée par Total en 2000. L’ancien PDG d’Orange Stéphane Richard était dans la même promotion de l’ENA que les ex-ministres Christian Paul et Florence Parly, mais aussi que le DG de la Société générale et futur président du conseil d’administration de Sanofi Frédéric Oudéa, que l’ancien patron de l’Agence des participations de l’État David Azéma (passé chez Bank of America - Merrill Lynch puis Perella Weinberg) ou encore que Nicolas Bazire, ancien conseiller d’Édouard Balladur et Nicolas Sarkozy aujourd’hui chez LVMH.

D’après les calculs que nous avions faits dans l’édition 2022 de CAC40 : le véritable bilan annuel, sur 66 dirigeants du CAC40 (PDG, DG et présidents de C.A.), 25 sont issus de la haute fonction publique et des cabinets ministériels – c’est-à-dire un gros tiers. Si l’on enlève les dirigeants originaires d’autres pays et les groupes appartenant à des familles milliardaires, cette proportion s’élève à 25 sur 46 - plus de la moitié.

Quand l’État fait la publicité des pantouflages

Il n’en fallait pas davantage pour que les représentants de l’État fassent la promotion des portes tournantes, comme argument pour attirer les talents ! Les grands corps comme l’Inspection générale des Finances vantent depuis longtemps aux jeunes énarques les perspectives de carrière qu’ils offrent dans le secteur privé après quelques années passées à Bercy. Aujourd’hui en effet, commencer sa carrière dans le public semble un moyen plus commode et plus rapide de conquérir rapidement des postes de direction dans le privé, plutôt que de gravir péniblement les échelons hiérarchiques.

La promotion des allers-retours public-privé semble de plus en plus décomplexée. Récemment, la direction du Trésor a publiquement vanté sur les réseaux sociaux le fait que l’un de ses cadres, Lionel Corre, avait été recruté par le cabinet de conseil en stratégie BCG. Quelques mois auparavant, c’était Mathias Vicherat, directeur de Sciences Po, qui conseillait à ses élèves d’aller manger à tous les râteliers au cours de leur carrière – une pratique qu’il connaît bien lui-même puisque ce condisciple d’Emmanuel Macron à l’ENA a commencé dans la fonction publique avant d’aller travailler à la SNCF puis chez Danone.

Un État actionnaire au service du marché plutôt que l’inverse

Plus de la moitié du CAC40 compte une institution publique française parmi ses actionnaires. Mais cet actionnariat public ne signifie pas que ces groupes soient davantage gérés dans une perspective d’intérêt général. Ils sont au contraire à l’avant-garde du brouillage des frontières public-privé.

La pratique assidue des portes tournantes dans les agences et des institutions qui incarnent l’État actionnaire - l’Agence des participations de l’État (APE) et Bpifrance – explique et illustre à la fois ce dévoiement. Martin Vial, directeur de l’APE jusque juin 2022, est parti travailler pour le fonds d’investissement Montefiore. Son prédécesseur Régis Turrini est aujourd’hui dans la banque UBS, et le prédécesseur de celui-ci, David Azéma, chez Perella Weinberg Partners après Bank of America. La directrice générale adjointe de l’APE et sa représentante aux conseils d’administration d’Engie, Orange et Safran est passée successivement par BNP Paribas, la direction du Trésor à Bercy, la SNCF et le fonds Wendel avant de rejoindre l’agence. Le même constat vaut pour Bpifrance. Son patron Nicolas Dufourq, passé par l’ENA, Bercy et l’Inspection générale des Finances, a travaillé pour Orange et Capgemini avant d’occuper ses fonctions actuelles.

De même et par conséquent, les entreprises publiques – la SNCF, la RATP et La Poste, mais aussi celles qui ont été partiellement privatisées comme Orange, Engie et (un temps) EDF, ainsi que les acteurs de la finance publique que sont la Caisse des dépôts et consignations et la Banque postale – sont une destination privilégiée pour les portes tournantes, comme on l’a vu encore récemment avec la nomination de l’ancien Premier ministre Jean Castex à la tête de la RATP. Les anciens responsables publics peuvent y mettre un premier pied dans le monde de l’entreprise, tout en se donnant l’impression de servir encore l’intérêt général. Un véritable laboratoire du mélange des genres.


Quelles solutions ?

Malgré la multiplication des scandales, et en dépit de leur rôle central dans les stratégies d’influence des grands intérêts privés, les « portes tournantes » sont restées longtemps sans régulations ni garde-fous. On commence à peine à prendre la mesure du problème.

Depuis 2020, la supervision des « mobilités public-privé » est du ressort de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). C’est un indéniable progrès, dans la mesure où les portes tournantes sont désormais encadrées par une autorité indépendante du pouvoir exécutif. Cependant, les lois et règles en vigueur restent limitées, et pleines de lacunes parfois importantes. Surtout, ces règles ne restent que des palliatifs, qui ne permettent de traiter que les cas les plus outrageux, sans s’attaquer à la racine du problème.

Dans l’article ci-dessous, nous avançons quelques pistes et idées pour remettre notre démocratie dans le sens de la marche.

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June 29, 2023 at 10:12:18 AM GMT+2

EDF ou l’histoire d’une débâcle françaisehttps://www.lemonde.fr/economie/article/2022/09/29/edf-ou-l-histoire-d-un-naufrage-francais_6143752_3234.html

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EDF ou l’histoire d’une débâcle française

Par Isabelle Chaperon Publié hier à 20h10, mis à jour à 10h52 Temps de Lecture 8 min.

Incertitudes politiques et difficultés technologiques ont contribué à la débâcle industrielle que connaît l’énergéticien français. Luc Rémont, qui succédera prochainement à Jean-Bernard Lévy à la tête de l’opérateur historique, est prévenu.

Le réveil est brutal. Les ménages français vivaient dans la douce illusion que l’électricité bon marché produite par les centrales nucléaires d’EDF les protégerait des turbulences provoquées par la guerre en Ukraine sur l’approvisionnement en énergie. C’était même l’occasion de montrer la supériorité du modèle français, fondé sur la souveraineté nationale, par opposition à nos voisins allemands, qui avaient tout misé sur le gaz russe. Mais rien ne s’est passé comme prévu.

L’arrêt de 26 réacteurs nucléaires sur 56 dans le parc d’EDF rend la France vulnérable aux pénuries de courant et place l’opérateur au cœur des critiques. L’une des premières missions du futur patron de l’opérateur, Luc Rémont, choisi par l’Elysée jeudi 29 septembre, sera de relancer la production. En 2005, année de son entrée en Bourse, EDF produisait environ 430 térawattheures d’électricité (TWh) d’origine nucléaire ; en 2022, il table sur 280 à 300 TWh. Ce camouflet industriel s’ajoute aux déboires essuyés par la filière nucléaire française pour construire de nouvelles centrales de troisième génération (EPR).

Qui blâmer ? Les dirigeants d’EDF ou ceux d’Areva – le frère ennemi défaillant –, l’exécutif, les écologistes, ou Bruxelles et son libéralisme échevelé ? Communistes et Républicains réclament l’ouverture d’une commission d’enquête parlementaire sur le nucléaire pour faire la lumière sur ce désastre. Alors qu’il suffit d’avoir lu Agatha Christie : « EDF, c’est Le Crime de l’Orient-Express. Tout le monde est coupable », tranche un ancien de Bercy qui a souhaité rester anonyme, comme la plupart des grands témoins sollicités.

Les monnayages des écologistes

Pour Olivier Marleix, président du groupe Les Républicains à l’Assemblée nationale, le grand coupable, c’est François Hollande, qui a promis, en vue de son élection à la présidence de la République, en 2012, de réduire la part du nucléaire dans la production d’électricité de 75 % à 50 % à l’horizon 2025. « Nous avons une technologie en or, qui nous assurait une énergie propre et bon marché, nous l’avons sacrifiée au nom d’un accord électoral Parti socialiste [PS]-Les Verts en 2011 : l’échange de quinze circonscriptions législatives contre la fermeture de vingt-quatre réacteurs nucléaires », a attaqué M. Marleix, dans un entretien au quotidien Le Figaro, parue le 5 septembre.

Partout en Europe, depuis la fin du XXe siècle, les écologistes ont monnayé leur participation à des coalitions en échange d’une sortie du nucléaire : ce fut le cas en Allemagne en 1998, ou en Belgique en 2003. En 1997, déjà, le premier ministre (PS), Lionel Jospin, avait sacrifié le surgénérateur Superphénix sur l’autel d’un accord PS-Les Verts. En France, les Verts ont freiné le développement du « nouveau nucléaire » avec d’autant plus d’efficacité que la politique énergétique fut longtemps confiée au ministère de l’environnement.

Conséquence, en 2006, lorsque le premier béton est coulé à l’EPR de Flamanville (Manche), il s’agissait du premier réacteur mis en chantier en France depuis seize ans. « Le nucléaire est probablement la seule activité économique dont l’avenir est largement déterminé par l’opinion publique », professait François Roussely, l’ancien patron d’EDF. En mars 2011, un an avant l’élection présidentielle de 2012, l’accident nucléaire de Fukushima, au Japon, fait basculer la perception de l’atome dans le monde.

La construction d’un second EPR à Penly (Seine-Maritime), annoncée par le président Nicolas Sarkozy en 2009, est alors repoussée sine die. Et M. Hollande s’attaque au parc installé (et vieillissant). En 2018, le président de la République, Emmanuel Macron, confirme la mise à l’arrêt de la centrale de Fessenheim (Haut-Rhin), promise par son prédécesseur, s’engageant à mettre sous cloche quatorze réacteurs dans l’Hexagone, avant son revirement à l’issue de son premier mandat. Lors du discours de Belfort, en février 2022, il promet au contraire la construction de six nouveaux réacteurs.

Une « équipe de France » qui vit mal

Autant dire que l’actuel locataire de l’Elysée a pu se sentir visé par la pique de Jean-Bernard Lévy, désormais ex-patron d’EDF, qui a lâché lors d’une table ronde à l’université du Medef, le 29 août, à Paris : « On a fermé deux [réacteurs]. (…) On nous a dit “préparez-vous à fermer les douze suivants”. (…) On n’a pas embauché des gens pour en construire d’autres, on a embauché des gens pour en fermer. » Un discours « inacceptable » et « faux », a tancé Emmanuel Macron, le 5 septembre, car, selon le président, EDF devait, dans tous les cas de figure, assurer la maintenance de ses installations…

Le salut, faute de programmes en France, aurait dû passer par l’export. Las, ce fut un désastre. Symbole de cet échec collectif, l’appel d’offres d’Abou Dhabi. Quand l’émirat décide, en 2008, de bâtir quatre réacteurs, la France part favorite. Un consortium regroupant Areva, Total et Engie (alors GDF Suez) se lance à l’assaut du « contrat du siècle ». EDF rejoint in fine « l’équipe de France du nucléaire » à la demande pressante de l’Elysée, qui pilote l’affaire, tant elle est jugée stratégique. Mais le groupe vit mal. Anne Lauvergeon, dirigeante d’Areva, et Gérard Mestrallet, PDG de GDF Suez, ne sont-ils pas les ennemis jurés du nouveau PDG d’EDF, Henri Proglio ?

Abou Dhabi choisira finalement, fin 2009, un consortium coréen. L’EPR français, nettement plus cher, pâtit des déboires rencontrés par Areva en Finlande. En décembre 2003, le groupe dirigé par « Atomic Anne », associé à l’allemand Siemens, a été retenu pour construire une centrale nucléaire « clé en main » de type EPR à Olkiluoto, dans l’ouest de la Finlande. Une folie. Areva n’a ni les plans ni les compétences. EDF ricane et réplique en lançant, en 2006, le projet de Flamanville 3 : nouvelle folie, l’électricien n’est guère plus prêt…

« Cette course entre les deux entreprises françaises a conduit au lancement précipité des chantiers de construction de ces deux premiers EPR, sur la base de références techniques erronées et d’études détaillées insuffisantes », assène la Cour des comptes, dans un rapport au vitriol, publié en juin 2020. L’institution accuse « les administrations concernées » de ne pas avoir joué leur rôle de vigie. En particulier, l’Etat actionnaire, qui détenait plus de 87 % d’EDF et d’Areva, a laissé prospérer entre les deux maisons une relation qualifiée de « pathologique » par les observateurs.

L’EPR, un enfant mal né

Cette bride laissée trop lâche a coûté cher. Le réacteur d’Olkiluoto 3 a produit ses premiers mégawattheures (MWh) en mars 2022, avec douze ans de retard par rapport aux objectifs initiaux. Son coût est estimé à près de 9 milliards d’euros, soit trois fois le montant prévu. L’Etat a dû restructurer Areva avant d’y injecter 4,5 milliards d’euros en 2017. Comme si le contribuable français payait pour l’électricité des Finlandais. Va-t-il également financer celle des Britanniques ? C’est la crainte qui a poussé Thomas Piquemal, alors directeur financier d’EDF, à démissionner en mars 2016.

Le dirigeant estimait déraisonnable que l’électricien prenne à sa charge autant de risques liés à la construction de deux EPR pour la centrale d’Hinkley Point, dans le sud-ouest de l’Angleterre. « Qui investirait 70 % de son patrimoine sur une technologie dont nous ne savons toujours pas si elle fonctionne ? », a-t-il expliqué par la suite aux députés. Trois EPR tournent actuellement dans le monde, un en Finlande et deux en Chine. Le chargement du combustible à Flamanville 3 est planifié pour juin 2023 (contre une mise en service prévue au départ en 2012).

Selon le rapport de juin 2020 de la Cour des comptes, la facture globale du chantier (y compris les frais financiers) devrait atteindre 19 milliards d’euros (contre 3,2 milliards attendus). L’EPR est un enfant mal né. Ce fruit de la collaboration technologique entre Areva et Siemens, bénie par les politiques désireux de forger l’« Airbus du nucléaire », est passé sous les fourches Caudines des autorités de sûreté française et allemande, dont les exigences « ne convergeaient pas toujours », glisse une Cour des comptes amatrice de litote.

Cet « empilement d’ingénieries d’inspirations différentes », d’une effroyable complexité, n’a pas été remis en cause lorsque l’Allemagne s’est retirée du projet, en 1998. A ces difficultés initiales s’ajoute la défaillance des opérateurs, Areva – et sa filiale Framatome, reprise depuis par EDF – mais également l’électricien lui-même : le grand architecte ensemblier de la filière a perdu la main. Pour Jean-Martin Folz, l’ancien patron de PSA, chargé d’auditer la situation de Flamanville en octobre 2019, « les outils et les méthodes de management indispensables à la gestion d’un projet de cette envergure n’ont pas été mis en place au lancement de celui-ci ».

De l’absence d’un vrai chef de projet aux loupés des soudeurs, c’est la bérézina. Les concurrents, eux, critiquent « l’arrogance » du fleuron tricolore. « C’est la maladie du monopole, EDF n’accepte pas ce qui vient de l’extérieur, il est dans sa bulle », lâche l’un d’entre eux. De quoi expliquer en partie le climat délétère qui s’est installé avec l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). « EDF n’a informé l’ASN de l’existence d’un écart au référentiel d’exclusion de rupture pour les soudures de traversées qu’en 2017, alors que ces éléments étaient connus depuis octobre 2013 », dénonce la Cour des comptes.

Bruxelles contre les monopoles

Du côté du parc existant, enfin, la mauvaise surprise est venue d’un problème de « corrosion sous contrainte » détecté en décembre 2021 dans les circuits secondaires de la centrale de Civaux (Vienne). Cette rouille, « totalement inattendue pour tous les experts », a insisté M. Lévy lors d’une audition le 14 septembre à l’Assemblée nationale, a entraîné l’arrêt de quinze réacteurs, s’ajoutant aux dix en pause pour une maintenance classique. Plus un connaissant un « arrêt fortuit ».

« Nous faisons face à un cumul inattendu d’activités, qui mobilise des compétences pointues et rares, de tuyauteurs, soudeurs, robinetiers, chaudronniers…, a expliqué le PDG. Ce déficit de compétences affecte notre capacité à réparer au rythme que nous souhaiterions. » Sébastien Menesplier, secrétaire général de la puissante fédération CGT Mines-Energie, déplore que « 80 % de la maintenance [soit] sous-traitée. C’est beaucoup trop ». M. Menesplier reconnaît que l’électricien « s’est reposé sur ses lauriers », renvoie dos à dos les politiques « de gauche, de droite et du milieu », mais, surtout, il en veut à Bruxelles.

« La libéralisation est un échec. Elle a créé de la précarité et fait flamber les tarifs de l’électricité », martèle le syndicaliste, qui appelle à « enterrer les directives européennes encore plus profondément que des déchets nucléaires ». La Commission européenne, dont le dogme fondateur repose sur la protection des consommateurs, n’a eu de cesse de casser les monopoles, EDF en tête. A partir de 1996, elle a imposé aux Etats membres une ouverture progressive à la concurrence de la production, du transport et de la distribution d’électricité.

Ce cheminement a culminé dans la loi sur la nouvelle organisation du marché de l’électricité (NOME), votée en 2010, qui oblige l’électricien à vendre chaque année environ un quart de sa production électrique à des fournisseurs alternatifs au prix d’environ 42 euros du MWh. Ce mécanisme, appelé Accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh), devrait coûter 10 milliards d’euros au groupe en 2022. « Il est faux de dire que l’Arenh a été mis en place à la demande de Bruxelles. Il y avait d’autres solutions pour ouvrir le marché français à la concurrence », plaide Stéphane Sorin, fondateur du groupement d’achat Collectif Energie.

« Ce dispositif correspond à un choix politique des pouvoirs publics français, qui se sont toujours servis d’EDF pour protéger le consommateur et qui ne souhaitaient pas toucher au parc du groupe », poursuit-il. Le fournisseur historique, en effet, a refusé de vendre des capacités de production, comme Enel l’a fait en Italie par exemple, afin de faciliter l’entrée de concurrents sur le marché français. Bruxelles, en particulier, presse la France depuis des décennies de mettre en concurrence ses concessions de barrages hydroélectriques gérés par EDF : un bras de fer qui dure toujours…

Article publié dans la revue Le Monde par Isabelle Chaperon

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June 20, 2023 at 11:01:07 AM GMT+2

Électricité, la grande arnaquehttps://www.lepoint.fr/economie/electricite-la-grande-arnaque-15-09-2022-2490056_28.php

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Électricité, la grande arnaque

Comment l’État laisse les fournisseurs privés d’électricité siphonner les ressources d’EDF, dans l’espoir de sauver une ouverture du marché de l’énergie.

Par Erwan Seznec et Géraldine Woessner (avec Clément Fayol)

Trente euros il y a deux ans, 200 euros en début d'année, près de 500 euros le mégawattheure (MWh) fin août : le marché européen de l'électricité paraît hors de contrôle, et rien ne laisse présager un retour rapide à la normale. En cause, une reprise post-Covid vigoureuse et la guerre en Ukraine, qui perturbe les approvisionnements en gaz russe. Deux facteurs aggravés, côté français, par une disponibilité historiquement faible du parc nucléaire.

Les Français réalisent-ils l'ampleur du problème ? Pas sûr. Leurs factures d'électricité au tarif réglementé ont augmenté de 4 % seulement depuis l'hiver dernier. Sans le bouclier tarifaire instauré par le gouvernement à l'automne 2021, elles auraient flambé de 35 %. Et, si le gouvernement a décidé de prolonger la digue en 2023, les finances publiques ne pourront pas soutenir longtemps un dispositif qui a d'ores et déjà coûté plus de 10,5 milliards d'euros…

Les fournisseurs alternatifs d'électricité, eux, ont parfaitement conscience de la gravité de la situation. Pesant environ 30 % du marché, ils se sont engagés à fournir à leurs clients des kilowattheures (kWh) à prix fixe, sur plusieurs mois, voire plusieurs années. Ceux qui ont vu venir l'envolée des prix se sont couverts, en achetant à l'avance, sur les marchés, des mégawattheures livrables cet hiver. Voilà pour les fourmis. Mais les fournisseurs cigales, eux, ont commencé à rendre l'âme. E.Leclerc Énergies a jeté l'éponge dès octobre 2021, suivi par Bulb ou Oui Energy. Hydroption a fait faillite. Ce courtier avait décroché des marchés de fourniture des villes de Paris, Rouen et de l'armée française ! La structure se résumait en fait à une dizaine de traders basés dans le Var, dépourvus de la moindre capacité de production… Quand les prix ont explosé, ils n'ont pas pu approvisionner leurs clients. Un cas loin d'être unique. À quelques exceptions près, comme TotalEnergies ou Engie, les « fournisseurs » alternatifs sont essentiellement des courtiers, non des industriels. Depuis l'ouverture du marché de l'énergie, la concurrence d'EDF affiche un bilan plus que décevant en termes de création de capacités productives. En 2021, le nucléaire historique représente toujours 67 % du mix électrique français, contre 78 % en 2007. Et si les alternatifs ont rongé les parts de marché d'EDF, l'entreprise historique assure toujours 85 % de la production d'électricité consommée dans le pays.

Nucléaire. Sa place est en effet incontournable lorsqu'on prend en considération la notion d'énergie pilotable, c'est-à-dire indépendante du vent et du soleil, capable d'assurer de manière planifiée l'indispensable équilibre entre l'offre et la demande sur le réseau, 7 jours/7 et 24 heures/24. Adieu, panneaux solaires et éoliennes. La France évite le black-out grâce à quelques grands barrages, à des turbines d'appoint au gaz mais, surtout, à son parc de 56 réacteurs nucléaires.

Autant dire qu'en théorie le champagne devrait couler à flots dans les bureaux d'EDF. L'opérateur historique sait à l'avance que les prix vont flamber les soirs d'hiver sans vent ni soleil, quand la demande sera maximale et les renouvelables à l'arrêt. Le nucléaire , lui, répondra présent alors que le mégawattheure s'envolera à 1 000 euros, voire davantage. De quoi renflouer les caisses de l'électricien, qui a accumulé 44 milliards d'euros de dettes au fil du temps. Sauf que…

Prix bradé. L'État en a décidé autrement lorsqu'il s'est avéré, quelques années après la libéralisation du marché, que les alternatifs n'arriveraient jamais à concurrencer le mégawattheure produit à faible coût et à la demande par un parc nucléaire quasi amorti. En 2010, la loi Nome (Nouvelle organisation du marché de l'électricité) instaure un nouveau mécanisme, nommé Accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh). Dans le but de rétablir l'équilibre avec de nouveaux entrants qui peinent à décoller, EDF est contrainte, par la loi, de partager la production de ses réacteurs avec eux. L'opérateur historique doit céder à ses concurrents un gros quart de sa production nucléaire -100 térawattheures (TWh) - à prix coûtant, très au-dessous des prix du marché : 42 euros le mégawattheure depuis 2012, peut-être revalorisé en 2023 à 49,50 euros. Pour répondre à la crise, en mars 2022, le gouvernement a décidé d'imposer à EDF un supplément d'Arenh de 20 TWh par an, au prix de 46,20 euros le mégawattheure.

En résumé, alors que le parc nucléaire d'EDF est ralenti par des problèmes de maintenance et de corrosion, l'entreprise doit céder à prix bradé 120 TWh à ses concurrents, soit plus d'un tiers de sa production. Et ce volume devrait encore augmenter : lors d'une audition au Sénat en juillet 2022, la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, a confié réfléchir à porter l'Arenh à 135 TWh par an, pour limiter l'envolée des factures des clients des fournisseurs alternatifs. Une fuite en avant ?

Effets pervers. « La crise actuelle prouve à quel point le système était mal pensé au départ », soupire l'économiste Jacques Percebois, directeur du Centre de recherche en économie et droit de l'énergie (Creden). D'une part parce que l'Arenh se voulait un dispositif transitoire, qui doit d'ailleurs prendre fin en 2025 : « l'esprit du texte était de subventionner les petits fournisseurs pendant quelques années, afin qu'ils investissent et développent leur propre parc de production. Mais très peu l'ont fait », la majorité se contentant d'empocher les bénéfices, sans investir un euro. D'autre part parce que le système - par la magie d'une étrange règle de calcul - a récemment contribué… à faire augmenter les prix ! En effet, les fournisseurs alternatifs, sans moyen de production propre, doivent acheter, sur les marchés, l'électricité qu'ils revendent à leurs clients. Environ la moitié (et jusqu'à 75 %) de leurs achats viennent de l'Arenh, qu'ils obtiennent donc à un prix très avantageux. Mais le reste est acheté le plus souvent au prix fort sur le marché de gros. En bon gardien de la concurrence, la Commission de régulation de l'énergie (CRE) a, depuis 2015, pour principe d'augmenter le tarif réglementé en fonction des coûts, non seulement de l'opérateur historique, mais aussi des fournisseurs alternatifs : plus le volume d'Arenh qu'ils demandent est élevé, plus le tarif réglementé de l'électricité payée par les consommateurs augmente, afin de permettre aux alternatifs d'augmenter leurs prix tout en restant compétitifs, au moins en apparence. Un principe qui ulcère l'association de défense des consommateurs CLCV depuis des années.

Dernier effet pervers, et non des moindres : ce système laisse la porte grande ouverte à un certain nombre de dérives. « Certains fournisseurs ne répercutent pas le prix de l'Arenh dans les contrats de leurs clients. D'autres surestiment volontairement la consommation de leurs clients, afin d'obtenir davantage d'Arenh qu'ils n'en consommeront, et qu'ils pourront revendre au prix du marché », détaille Jacques Percebois. La CRE s'en est aperçue et peut infliger après coup des pénalités, « mais, quel que soit leur montant, ils auront gagné beaucoup d'argent ».

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June 20, 2023 at 10:59:40 AM GMT+2

L'Europe et la France neutralisés par les Américains sur les microprocesseurs ?https://www.latribune.fr/economie/france/l-europe-et-la-france-neutralises-par-les-americains-sur-les-microprocesseurs-928360.html

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L'Europe et la France neutralisés par les Américains sur les microprocesseurs ?

POLITISCOPE. Malgré la communication positive autour de l'investissement porté par le groupe franco-italien ST et l'Américain GlobalFoundries à Crolles près de Grenoble pour étendre l'usine de puces électroniques de STMicroelectronics, la réalité est bien celle d'une grande faiblesse industrielle de l'Europe dans la bataille pour la souveraineté dans les microprocesseurs. Dans les faits, les États-Unis ont gardé la haute main sur les logiciels de conception, la technologie substrat, et surtout sur les machines de fabrication. Et la bataille se joue en Asie où les Etats-Unis organisent début septembre un « Chip 4 » avec le Japon, Taïwan et la Corée du Sud, pour faire face à la montée des tensions avec la Chine.

Dans le jargon des communicants, c'est ce qu'on appelle un « effet d'annonce ». Début juillet, Emmanuel Macron se rendait à Crolles dans l'Isère, peu de temps après le sommet « Choose France », réunissant des investisseurs internationaux à Versailles. L'occasion pour le président français d'annoncer au grand public une nouvelle extension de l'usine de puces électroniques de STMicroelectronics présente dans l'agglomération grenobloise. Ce nouveau projet (qui correspond à un investissement total de 5,7 milliards d'euros, constitué en partie par des fonds publics) est en fait porté par le groupe franco-italien ST et l'Américain GlobalFoundries et vise à fournir à l'industrie automobile européenne les puces qui lui sont désormais nécessaires sur le marché des voitures « intelligentes » et électriques.

Des puces atteignant jusqu'à 18 nanomètres

Dans les faits, la future unité de Crolles pourra graver des puces jusqu'à 18 nanomètres. Pour les néophytes, c'est un prouesse technique. Mais dans l'univers secret de l'industrie des semi-conducteurs, cette finesse de gravure est déjà largement dépassée par de nombreuses usines à Taïwan ou aux États-Unis. « L'Europe doit être le leader de la prochaine génération de puces », avait pourtant claironné Thierry Breton, le commissaire au Marché Unique et au Numérique à Bruxelles, allant jusqu'à évoquer une « reconquête stratégique ». Cet investissement à Crolles s'inscrit ainsi dans le cadre du « Chips Act » européen, un vaste plan de la Commission européenne, estimé à 42 milliards d'euros, pour doubler (à 20 %) la part de puces produites en Europe d'ici 2030. Quelques jours plus tard, Emmanuel Macron avait insisté sur le fait que ce projet allait assurer une certaine « souveraineté ».

Ces grandes déclarations cachent mal pourtant les multiples faiblesses industrielles de l'Europe sur le front des semi-conducteurs et autres microprocesseurs. Dans son rapport publié au printemps, la Commission européenne peine à définir une réelle stratégie pour ce secteur hautement stratégique. Ni les États-Unis ni la Chine n'apparaissent clairement comme rivaux systémiques dans ses analyses. « Les montants financiers mis en avant, malgré des chiffres apparemment importants, non seulement ne sont pas à la hauteur des enjeux et des besoins nominaux, singulièrement en regard de ce que devraient être les objectifs industriels européens, mais sont aussi construits largement grâce à la mobilisation ou le recyclage de budgets préexistants », regrette un industriel du secteur, qui reste largement sur sa faim. Et pour cause : « l'Europe ne produit pas de smartphones et autres produits telcos - souvent à double usage- d'avant-garde numériques. C'est consubstantiel ! » L'Europe devait ainsi avoir comme priorité de revenir sur des segments où elle est aujourd'hui absente, ayant été évincée dans le passé. C'est en réalité l'ensemble de l'écosystème électronique qui est à prendre en compte, tant en amont qu'en aval.

UE et Elysée aux abonnés absents

Car le temps presse. Face à la montée en puissance de la Chine, les Américains tentent de maintenir leur prédominance mondiale. Cela passe, bien évidemment, par leurs pratiques ITAR, qui leur permettent de contrôler sur un plan normatif l'ensemble de ces filières hautement stratégiques. Face à cette stratégie intrusive, l'Union européenne comme l'Elysée se retrouvent aux abonnés absents. Pas question pour eux de contester les États-Unis. Résultat, comme sur le front sanitaire avec l'épidémie de Covid-19, l'Europe apparaît comme totalement ballotée, incapable de maîtriser et développer industriellement le moindre brevet. Elle n'est là que pour faire de la sous-traitance aux fleurons américains.

C'est d'ailleurs dans cette optique, que le géant Intel a décidé d'augmenter ses investissements en Allemagne ou que GlobalFoundries (l'ancien fondeur appartenant historiquement à IBM et contrôlé aujourd'hui par un fonds d'investissement emirati) s'associe avec STMicroelectronics. Au final, l'UE finance des capacités de production sur son territoire qu'elle ne maitrise en aucune manière. Dans les faits, les États-Unis ont gardé la haute main sur les logiciels de conception, la technologie substrat, et surtout sur les machines de fabrication.

L'Europe a pourtant des compétences et des centres de R&D de premier plan : IMEC, LETI... L'Europe dispose également de technologies enviées : la société néerlandaise ASML (première capitalisation boursière européenne) pour la lithographie grâce à ses machines ultra modernes de gravure, qui lui permettent de maîtriser 100% du marché mondial de l'extrême ultraviolet, la société française SOITEC sur les wafers SOI, enfin, STMicroelectronics sur le FDSOI. Mais, pendant ce temps-là, les Etats-Unis, financent, constituent des situation monopolistiques, normalisent et protègent, sans aucun état d'âme.

Réunion préliminaire du « Chip 4 »

Ainsi, et il est révélateur que cela n'a suscité aucun commentaire cet été du côté européen, mais les Américains sont en train de réunir les grands pays producteurs de semi-conducteurs en Asie dans un front contre la Chine. Début septembre, doit ainsi se réunir une réunion préliminaire de ce « Chip 4 », cette future alliance majeure dans les semi-conducteurs, constituée par les Etats-Unis, leaders des écosystèmes et des équipements, le Japon, en pointe dans l'approvisionnement en matériaux-clés, Taïwan, champion de la fabrication des puces électroniques de dernière génération avec TSMC, et la Corée du Sud, experte des puces mémoires, avec ses géants Samsung Electronics et SK Hynix : quelques jours à peine après que Joe Biden ait signé le « Chips and Science Act », ce texte qui vise à relancer la production des semi-conducteurs aux Etats-Unis à partir d'une première enveloppe de 52,7 milliards de dollars (51,7 milliards d'euros) de subventions.

Début août, lors de sa visite si polémique à Taïwan, Nancy Pelosi, la présidente démocrate de la Chambre des représentants, avait d'ailleurs déjeuné avec le patron de TSMC, Mark Liu, selon le Washington Post. Sous Donald Trump, TSMC avait déjà promis d'investi 12 milliards de dollars aux États Unis dans la construction d'une usine en Arizona. On le voit, dans cette guerre mondiale des puces électroniques, tous les coups sont permis. Et les Européens semblent avoir encore plusieurs trains de retards, malgré les derniers « effets d'annonce ».

Marc Endeweld

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22 Août 2022, 15:43

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June 20, 2023 at 10:48:29 AM GMT+2

Bercy veut vos relevés bancaires en temps réelhttps://www.nextinpact.com/article/70030/bercy-veut-vos-releves-bancaires-en-temps-reel

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Bercy veut vos relevés bancaires en temps réel

Du Ficoba au Flics aux basques
Par Pierre Januel Le vendredi 23 septembre 2022 à 10:03

Lors de la refonte du fichier des comptes bancaires (Ficoba), Bercy a voulu le transformer en fichier des opérations bancaires, qui lui aurait permis d’accéder en temps réel à nos relevés de compte. Un projet finalement bloqué par la Dinum, faute de base légale.

Dans la grande famille des fichiers, Ficoba est l’un des plus anciens. Ce FIchier des COmptes Bancaires et Assimilés liste, depuis 1971, tous les comptes ouverts en France : comptes courants, comptes d'épargne, comptes-titres… Il contient environ 800 millions de références de comptes dont 300 millions d’actifs. Les informations sont conservées durant toute la durée de vie du compte et pendant 10 ans après sa clôture.

Ficoba est un mastodonte que doivent nourrir toutes banques et qui est régulièrement consulté par de nombreux organismes : sécurité sociale, fisc, douane, enquêteurs judiciaires, notaires en charge d’une succession, banques, huissiers, TRACFIN. Au total, il y a eu pas moins de 41 millions de consultations en 2020. Le fichier est obsolète. Ainsi dans un récent référé, la Cour des comptes regrettait que le Ficoba, à cause de son obsolescence technique, ne soit pas assez utilisé par les organismes sociaux pour lutter contre la fraude à l’identité.

Le Ficoba ne contient que des informations sur les titulaires et bénéficiaires des comptes : rien sur les opérations effectuées sur les comptes ou sur le solde. Si le fisc ou la police veut en savoir plus, ils doivent passer par des réquisitions spéciales aux banques. C’est apparemment trop limité et trop compliqué pour Bercy.

Bercy voulait intégrer les opérations bancaires au Ficoba

Une refonte de Ficoba, intitulée Ficoba 3, est actuellement en chantier depuis 2020. L’objectif : mettre à jour technologiquement l’outil qui commence à dater, améliorer l’ergonomie et inscrire de nouveaux produits financiers (comme les coffres-forts) et de nouvelles données (noms des bénéficiaires effectifs et des mandataires) comme le prévoient des directives européennes. Un projet évalué à 17,4 millions d’euros, financé par le FTAP 2 à hauteur de 7,8 millions d’euros et qui devrait s’étaler jusqu’à 2024.

Mais un courrier adressé en septembre 2021 par Bercy à la Direction du numérique, qui est chargée de rendre un avis sur les grands projets informatiques, nous permet d’en savoir plus. Le ministère de l’Économie et des Finances y indiquait qu’il y avait d’autres buts à la refonte du Ficoba : « Les objectifs du projet Ficoba 3 sont également de préparer, de par son architecture, les étapes suivantes : a) intégrer les opérations effectuées sur les comptes bancaires ; b) évoluer et devenir le référentiel des comptes bancaires de la DGFiP. »

Le directeur interministériel du numérique, Nadi Bou Hanna, va bloquer sur ce point. Transformer un fichier des comptes bancaires en relevé de toutes les opérations bancaires serait une modification massive du Ficoba. Cela reviendrait à donner ces informations en temps réel au fisc, aux services de renseignement et à un tout un tas d’organismes. De quoi nourrir le data mining de Bercy, de plus en plus mis en avant dans la lutte contre la fraude fiscale.

La Dinum note que concernant les nouvelles exigences européennes, « les principales mesures attendues (intégration des coffres-forts, des bénéficiaires effectifs et des mandataires par exemple) ont d’ores et déjà été embarquées dans les évolutions en cours de Ficoba 2. »

Surtout l’intégration des soldes de comptes bancaires et à terme les opérations effectuées sur ces comptes bancaires serait « une évolution fonctionnelle très significative de Ficoba, passant d’une gestion des données de référence statiques à une gestion des données dynamiques très sensibles ».

Mais « les cas d’usage de ces soldes et de ces opérations ne sont pas détaillés et leur conformité avec le cadre juridique actuel ne me paraissent pas suffisamment solides ». La DINUM n’a notamment pas trouvé trace « de débats parlementaires permettant d’autoriser ces évolutions substantielles ». Afin de sécuriser le projet, il conviendrait que Bercy s’assure « de leur conformité auprès des instances compétentes, en premier lieu la CNIL, avant de débuter les travaux de réalisation ».

Les éléments fournis par Bercy ne permettent pas à la Dinum de conclure à la « conformité juridique indispensable du périmètre fonctionnel additionnel de constitution d’un référentiel porté par la DGFIP des soldes et des mouvements des comptes bancaires des entreprises et des particuliers ». En conséquence, son avis conforme est défavorable pour cette partie du projet.

Pour le reste, l’avis de la Dinum à Ficoba 3 est favorable, moyennant d’autres demandes, comme celle de permettre le partage des RIB avec plusieurs administrations via FranceConnect, le renforcement de l’approche « données » du projet, le resserrement du pilotage du projet et le fait de mener une réflexion en faveur de la cloudification du Ficoba (qui devrait rester hébergé à la DGFIP).

Bercy, qui n’a pas souhaité répondre à nos questions, semble pour l’instant avoir abandonné son projet fou. La dernière version de son cahier des charges ne mentionne plus le fait que le Ficoba 3 intégrera les soldes et les opérations bancaires.

Une présentation faite à l’association des marchés financiers en mars 2022 évoque uniquement « un cadre légal évolutif permettant de stocker de nouvelles données », mais rien de précis concernant l’inclusion des soldes et des opérations. En bref, il faudra changer la loi avant de changer le Ficoba.

Article publié dans la revue NextInpact par Pierre Januel

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June 20, 2023 at 10:45:36 AM GMT+2

Pourquoi Elon Musk inquiète le pouvoir à Washingtonhttps://www.courrierinternational.com/long-format/influence-pourquoi-elon-musk-inquiete-le-pouvoir-a-washington

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Influence. Pourquoi Elon Musk inquiète le pouvoir à Washington

Brillant, fantasque et arrogant : le patron de Tesla, SpaceX et désormais Twitter est un peu trop incontrôlable aux yeux de nombreux responsables politiques américains. Mais ils n’osent critiquer son ingérence dans les questions géopolitiques que sous couvert d’anonymat, constate le “Washington Post”.

En octobre, entre la prise de contrôle de Twitter, le lancement de quatre astronautes et d’une nouvelle salve de 54 satellites dans l’espace et la présentation d’un semi-remorque électrique, Elon Musk a encore trouvé le temps de proposer des plans de paix pour Taïwan et l’Ukraine, se mettant à dos les dirigeants de ces pays tout en déclenchant l’ire de Washington.

L’homme le plus riche du monde a aussi agacé le Pentagone en annonçant qu’il ne souhaitait pas continuer à payer de sa poche son service d’accès à Internet par satellite [Starlink] en Ukraine, avant de faire volte-face. En coulisses, de nombreux responsables de Washington s’inquiètent de voir le milliardaire de 51 ans se mêler de questions géopolitiques explosives sans les consulter.

Lire aussi À la une de l’hebdo. Ces milliardaires tout-puissants

Depuis vingt ans, un partenariat entre Elon Musk et le gouvernement fédéral a certes permis aux États-Unis de retrouver leur position dominante dans l’espace et d’électrifier la flotte automobile américaine, scellant du même coup sa réputation internationale de génie de la technologie. Mais aujourd’hui, beaucoup à Washington trouvent le grand patron trop puissant et inconséquent.

Parmi la vingtaine de hauts responsables gouvernementaux interrogés pour cet article, beaucoup, évoquant la facilité avec laquelle Elon Musk raille publiquement ses détracteurs – il a traité le président Biden de “chiffe molle” et déclaré que la sénatrice démocrate du Massachusetts Elizabeth Warren lui rappelait “la mère en colère d’un ami” –, n’ont accepté d’en parler que sous couvert de l’anonymat. Presque tous s’accordent à dire qu’il est aussi fantasque et arrogant que brillant.

Convaincu d’être un bienfaiteur de l’humanité

“Elon, l’omniprésent”, selon un haut fonctionnaire de la Maison-Blanche, “est tellement convaincu d’être un bienfaiteur de l’humanité qu’il estime n’avoir besoin d’aucun garde-fou et tout savoir mieux que tout le monde.”

“Il considère qu’il est au-dessus de la présidence”, renchérit Jill Lepore, historienne à Harvard et autrice d’une série de podcasts sur Elon Musk.

Elon Musk n’a pas souhaité nous répondre pour cet article, mais il assure avoir un avis éclairé sur les grands problèmes de notre temps et qu’il est de son devoir d’“améliorer l’avenir de l’humanité”. Il est persuadé que son plan de paix pour l’Ukraine pourrait empêcher une éventuelle guerre nucléaire et que sa proposition pour Taïwan serait à même d’apaiser de dangereuses tensions régionales.

Lire aussi Vu d'Ukraine. Avec son “plan de paix”, Elon Musk tombe le masque

Cette diplomatie parallèle exaspère certains alliés, au moment même où Elon Musk met 44 milliards de dollars [45 milliards d’euros] sur la table pour racheter une plateforme médiatique forte de centaines de millions d’utilisateurs.

Pour Richard J. Durbin, sénateur démocrate de l’Illinois, “le fait est que les gens suivent de près la moindre de ses déclarations, parce qu’il a si souvent réalisé ce qu’il annonçait”. Son collègue républicain de Caroline du Sud Lindsey O. Graham qualifie son plan pour l’Ukraine d’“affront” à ce peuple.

Détenteur de plus de satellites que n’importe quel pays

Les relations d’Elon Musk avec Washington avaient pourtant commencé sous les meilleurs auspices. “Je vous aime !” avait-il lâché quand, en 2008, alors qu’il croulait sous les dettes, un responsable de la Nasa [l’agence spatiale américaine] l’avait appelé pour lui annoncer qu’il venait de décrocher un contrat de 1,6 milliard de dollars. Washington a par la suite injecté d’autres milliards dans son entreprise de fusées et capsules spatiales. SpaceX a été à la hauteur des attentes, en reconstruisant un programme spatial américain qui battait de l’aile.

Ses initiatives bipartisanes l’ont, un temps, aidé à conquérir Washington. Il a dîné avec le président Barack Obama et intégré l’équipe des conseillers économiques du président Donald Trump. Il a financé des candidats des deux partis. Aujourd’hui, il n’a pas de mots assez durs pour Joe Biden et clame qu’il votera pour un républicain en 2024.

L’entrepreneur excentrique qui ne se rend plus désormais que rarement à Washington se montre de plus en plus critique à l’égard du gouvernement fédéral. Il parle à des chefs d’État et de gouvernement étrangers, vend ses fusées et sa technologie spatiale de pointe à la Corée du Sud, à la Turquie et à un nombre croissant de pays. Il a installé des usines Tesla en Allemagne et en Chine. Il possède et contrôle plus de 3 000 satellites orbitant autour de la Terre – bien plus que n’importe quel État.

Une puissance mondiale à lui tout seul

S’il a moins besoin de Washington maintenant qu’il est à lui seul une puissance mondiale, Washington reste largement tributaire du milliardaire. L’armée américaine utilise ses fusées et ses services de communication par satellite pour ses drones, ses navires et ses avions. La Nasa n’a aucun autre moyen d’envoyer des astronautes américains vers la Station spatiale internationale (ISS) sans sa capsule spatiale. Et à l’heure où la Maison-Blanche a fait du changement climatique l’une de ses priorités, il a mis plus de voitures électriques sur les routes américaines que tout autre constructeur.

Plusieurs hauts fonctionnaires assurent prendre des dispositions pour s’affranchir de l’emprise d’Elon Musk. “Il n’y a pas que SpaceX sur le marché. Il existe d’autres entités auxquelles nous pouvons certainement nous associer pour fournir à l’Ukraine ce dont elle a besoin sur le champ de bataille”, a ainsi déclaré lors d’une conférence de presse à la mi-octobre Sabrina Singh, porte-parole adjointe du ministère de la Défense.

“Un danger pour la démocratie”

L’une des grandes inquiétudes porte sur son réseau de participations hors des États-Unis et d’investisseurs étrangers, à commencer par son immense usine Tesla en Chine, et sur les influences auxquelles Elon Musk pourrait céder dès lors qu’il contrôle une plateforme numérique où certains utilisateurs propagent de la désinformation et attisent la polarisation politique. En tant que fournisseur de la défense américaine, Musk a fait l’objet d’une enquête, mais plusieurs hauts fonctionnaires réclament des vérifications plus poussées, notamment au regard de tout éventuel projet de développement en Russie et en Chine. Elizabeth Warren et d’autres ont vu dans son rachat de Twitter “un danger pour la démocratie”.

Washington a déjà eu à gérer de puissants hommes d’affaires qui dominaient les chemins de fer, le pétrole ou un secteur économique clé, souligne Richard Haass, directeur du [cercle de réflexion] Council on Foreign Relations. “Mais ce qui est un peu différent ici, c’est la capacité d’Elon Musk à diffuser ses idées politiques et le fait que nous disposons désormais d’une technologie et d’un média qui, au bout du compte, permettent à tout un chacun de devenir son propre réseau ou sa propre chaîne.”

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La tourmente économique qui sévit depuis le début de la guerre en Ukraine a écorné de nombreuses fortunes, dont celles d’Elon Musk, qui, selon l’indice Bloomberg des milliardaires, a vu son patrimoine fondre de plusieurs dizaines de milliards de dollars, passant à 210 milliards de dollars [195 milliards au 4 novembre, soit 200 milliards d’euros].

Deux personnes qui le connaissent bien le disent impulsif – un trait de caractère qui le rend peu fiable aux yeux des responsables gouvernementaux. Elon Musk a lui-même révélé être atteint du syndrome d’Asperger, une forme d’autisme, prévenant qu’il ne fallait pas s’attendre à ce qu’il soit “un type cool et normal”.

Des visées sur Washington

“Il n’arrête pas de se tirer des balles dans le pied. Il ferait mieux de ne pas se mêler de politique”, juge une personne qui a travaillé à ses côtés pendant des années.

“Comme tout le monde, j’ai été choquée de le voir s’empêtrer dans certaines affaires ces derniers mois”, commente Lori Garver, ancienne administratrice adjointe de la Nasa, qui s’inquiète des répercussions. SpaceX a certes rétabli l’hégémonie des États-Unis dans l’espace, mais les déclarations politiquement sensibles de son patron lui valent des critiques.

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Musk a des visées sur Washington depuis vingt ans. Citoyen sud-africain venu s’installer dans la Silicon Valley, il a obtenu la nationalité américaine en 2002 – l’année même où il a réinjecté l’argent de la vente de PayPal, la société de paiement en ligne qu’il a cofondée, dans la création de SpaceX. Il misait gros et avait besoin de lucratifs marchés publics. Début 2003, il disait vouloir “renforcer significativement sa présence” dans la capitale, afin d’établir “une relation de travail étroite avec le gouvernement fédéral”.

À la même époque, il investit dans Tesla, dont il a rapidement pris le contrôle [en 2004], grâce aux aides et aux dispositifs fiscaux de Washington. À elle seule, la Californie a subventionné l’entreprise à hauteur de 3,2 milliards de dollars.

À lire aussi : Le chiffre du jour. La Big Tech, premier lobby auprès de l’Union européenne

Un examen des formulaires de déclarations publiques révèle qu’Elon Musk a embauché des dizaines de lobbyistes, dont beaucoup avaient travaillé pour de puissants membres du Congrès. Selon OpenSecrets, un groupe de recherche sur les financements politiques, SpaceX a dépensé en quelques années plus de 22 millions de dollars pour faire pression sur Washington. Musk a lui-même révélé un excellent sens politique. De 2008 à 2013, il s’est envolé quarante fois pour Washington. Il a frappé aux portes et invité des hauts responsables à des déjeuners de travail. Et il a vite compris que lorsque les tractations en coulisses ne marchaient pas, la publicité pouvait être efficace.

Adepte de coups d’éclat publics

Par un mercredi ensoleillé de juin 2014, il a garé son nouveau “taxi de l’espace” à quelques rues du Capitole. Il avait traversé le pays depuis son usine californienne à bord de la capsule conçue pour lancer sept astronautes en orbite et invité les caméras et quelques responsables au spectacle. “Beau boulot, Elon !” s’est écrié Dana Rohrabacher, élu républicain à la Chambre, à sa descente de l’élégant vaisseau spatial. Ce jour-là, les démocrates aussi ont applaudi. Musk était aux anges.

Les États-Unis comptaient alors sur la Russie pour emmener leurs astronautes vers l’ISS, et déboursaient des dizaines de millions de dollars pour chaque place. Elon Musk promit de mettre fin à cette pratique et de relancer le programme spatial américain. Le locataire de la Maison-Blanche était alors Barack Obama, qui voulait laisser leur chance à des opérateurs privés comme SpaceX. Quelques semaines après l’arrivée en fanfare de son taxi de l’espace à Washington, Elon Musk décrochait un contrat de 2,6 milliards de dollars avec la Nasa.

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Elon Musk lorgnait également des marchés du Pentagone, et s’est rendu compte que les coups d’éclat publics pouvaient aider. En 2014, il a fait les gros titres pour avoir descendu en flammes, devant le public clairsemé d’une audition parlementaire, la coentreprise entre Lockheed Martin et Boeing, les deux géants de l’aérospatiale qui fournissaient des fusées à l’armée de l’air, dénonçant un “monopole” qui, selon lui, pesait bien trop lourd sur les contribuables.

“Elon demandait qu’on lui donne une chance”, explique Scott Pace, ancien responsable de la Nasa qui était intervenu lors de cette audition. Ce qu’a fait le Pentagone, et Elon Musk a tenu parole. Ses fusées Falcon, révolutionnaires et partiellement réutilisables, coûtaient beaucoup moins cher. Huit ans plus tard, Elon Musk est le Goliath de l’industrie spatiale.

L’État limite sa dépendance à l’égard de Musk

Kevin McCarthy, député de Californie et chef de file des républicains à la Chambre des représentants, lui donne du “cher ami”. En juin, Elon Musk, qui a récemment quitté la Californie pour s’installer au Texas, a annoncé qu’il donnait sa voix à Mayra Flores lors d’une primaire pour les législatives – ajoutant que c’était la première fois qu’il votait républicain. Il a également reproché aux démocrates d’être trop extrêmes et à la botte des syndicats.

Certains législateurs républicains doutent cependant que son engouement pour le Great Old Party dure très longtemps. “C’est encore un de ces artistes à la con”, lâchait à son sujet Donald Trump en juillet dans un meeting en Alaska.

L’un des rares points sur lesquels les deux partis s’entendent est que, sur certaines questions vitales, notamment pour ce qui est de la sécurité nationale, les États-Unis ne devraient pas s’en remettre à un seul individu ou une seule entreprise. Et le gouvernement prend des mesures pour limiter sa dépendance à l’égard de Musk.

Lire aussi Conquête spatiale. Jeff Bezos porte plainte contre la Nasa

La Nasa a financé la navette Starliner de Boeing pour concurrencer SpaceX dans le transport des astronautes. (La fusée Blue Origin de Jeff Bezos, propriétaire du Washington Post, est également en lice pour les contrats de la Nasa). Selon des responsables de la Nasa, les retards à répétition et l’augmentation du coût de Starliner expliquent que SpaceX se soit imposé.

En août, la Commission fédérale des communications (FCC) a refusé une subvention de 900 millions de dollars [910 millions d’euros] à Starlink, le fournisseur d’accès Internet par satellite de SpaceX, pour apporter le haut débit dans des zones rurales.

Le Congrès encourage aussi Ford et d’autres constructeurs à produire des voitures électriques. Depuis peu, seules les voitures neuves de moins de 55 000 dollars bénéficient de la subvention gouvernementale de 7 500 dollars. La plupart des modèles Tesla sont plus chers. Mais Elon Musk pourra encore profiter de nombreuses mesures d’incitation, y compris pour ses stations de recharge électrique. Ses superchargeurs sont déployés dans 46 pays.

Contre la bureaucratie et “ces salopards” de régulateurs

Elon Musk déteste être dépeint “comme un escroc qui ne devrait sa survie qu’à la manne de l’État”, souligne Eric Berger, auteur de Liftoff [“Décollage”, non traduit en français], une histoire de SpaceX. “Il considère l’État comme une épée à double tranchant” qui peut lui être utile, mais dont la bureaucratie le ralentit. “Il est vraiment frustré par le nombre étourdissant d’agences fédérales avec lesquelles il doit traiter.”

“Ces salopards”, c’est ainsi que Elon Musk désigne les responsables de la Securities and Exchange Commission (SEC) [le régulateur américain des marchés financiers]. Elon Musk et Tesla se sont vu infliger chacun une amende de 20 millions de dollars après que le milliardaire a prétendu sur Twitter disposer d’un “financement assuré” pour retirer son entreprise de la Bourse pour 420 dollars par action, alors que ce n’était pas vrai. La SEC enquête aussi sur son offre de rachat de Twitter. L’avocat de l’homme d’affaires a déclaré devant un juge que la SEC essayait “de bâillonner et de harceler” son client parce qu’il “critique ouvertement le gouvernement”.

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Rares sont ceux qui ont envie de se retrouver dans le collimateur du milliardaire. C’est ce qui est arrivé à Joe Biden, qui ne pas l’a pas convié à une conférence de la Maison-Blanche sur les véhicules électriques en août 2021. Dans un tweet, Musk a jugé que ce camouflet était “un nouveau palier d’absurdité”, accusant Biden d’être sous la coupe des syndicats.

Au-delà du fait qu’ils ne souhaitent pas se le mettre à dos, beaucoup à Washington admirent ses réussites et souhaitent travailler avec lui. Au Pentagone, nombreux sont ceux qui voient en lui une arme secrète. Grâce à son système de satellites Starlink, les soldats ukrainiens sont informés en temps réel des cibles militaires ; d’autres pays étudient comment il pourrait renforcer leur défense.

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Parallèlement, le milliardaire travaille sur tout un éventail de nouveaux projets, allant de robots capables de préparer les repas à des plans de colonisation de Mars.

Pour l’historienne Jill Lepore, la puissance d’Elon Musk ne ressemble à rien de ce que les États-Unis ont pu connaître jusqu’à présent. “Nous devrions nous inquiéter, non parce qu’il est inévitable que son pouvoir d’influence devienne néfaste, mais parce qu’il est inévitable qu’il devienne énorme.”

Article long format publié sur Le Courrier International

Wanted, les milliardaires de la tech

Parmi les 40 premières fortunes mondiales de l’indice des milliardaires de Bloomberg, 11 sont issues de la technologie et 9 font leurs affaires depuis les États-Unis. Mais la culture libertarienne progressiste de la Silicon Valley n’est plus guère de mise.

Les agités

Elon Musk, 51 ans, américain (né en Afrique du Sud)

1re fortune mondiale (195 milliards de dollars, dont l’immense majorité en actions Tesla et SpaceX)

Cofondateur et PDG de la société astronautique SpaceX, PDG de la société automobile Tesla, cofondateur de la société d’implants cérébraux Neuralink, propriétaire de Twitter (depuis le 27 octobre 2022).

Jeff Bezos, 58 ans, américain

3e fortune mondiale (115 milliards de dollars)

Fondateur et président du conseil d’administration du géant de l’e-commerce Amazon, fondateur de l’entreprise spatiale Blue Origin

Mark Zuckerberg, 38 ans, américain

29e fortune mondiale (35,1 milliards de dollars)

Cofondateur et directeur général de Meta (ex-Facebook), plus grand réseau social du monde (3,6 milliards d’utilisateurs mensuels).

Les philantrocapitalistes

Bill Gates, 67 ans, américain

5e fortune mondiale (107 milliards de dollars)

Cofondateur du géant de l’informatique Microsoft et de la Fondation Bill et Melinda Gates (qui revendique 65,6 milliards de dollars d’investissements caritatifs depuis sa création).

Sergey Brin, 49 ans, américain (né en Russie)

11e fortune mondiale (78,4 milliards de dollars)

Cofondateur et président d’Alphabet (maison mère de Google), cofondateur de la Fondation Brin Wojcicki et “l’un des plus généreux des milliardaires de la tech”, selon le magazine indien Sugermint (en 2015, il a donné 355 millions de dollars à l’université de Cambridge pour l’intelligence artificielle et le machine learning).

Les soutiens des républicains

Larry Ellison, 78 ans, américain

7e fortune mondiale (90,5 milliards de dollars)

Cofondateur, directeur de la technologie et président du conseil d’administration du géant du logiciel Oracle, administrateur de Tesla

L’un des principaux donateurs du Parti républicain (21 millions de dollars cette année, selon Bloomberg).

Michael Dell, 57 ans, américain

24e fortune mondiale (45,6 milliards de dollars)

Fondateur et PDG de l’entreprise informatique Dell, entré dans le classement de Fortune dès l’âge de 27 ans comme “plus jeune patron d’entreprise”, selon La Libre Belgique. Il a soutenu Elon Musk, “l’homme dans l’arène” – référence au célèbre discours de Roosevelt. Donateur régulier du Parti républicain.

Les postlibertariens

Larry Page, 49 ans, américain

9e fortune mondiale (81,8 milliards de dollars)

Cofondateur de Google

Fan du festival Burning Man, il investit des millions de dollars dans les start-up de voitures et taxis volants Zee Aero et Kittyhawk.

Steve Ballmer, 66 ans, américain

10e fortune mondiale (79,3 milliards de dollars)

PDG de Microsoft de 2000 à 2014, propriétaire (pour 2 milliards de dollars) de l’équipe de basket de NBA des Los Angeles Clippers, il investit dans des fonds pour la diversité.

Les forcément discrets

Zhang Yiming, 39 ans, chinois

22e fortune mondiale

Fondateur de ByteDance, maison mère du réseau social TikTok.

Jack Ma (Ma Yun de son nom chinois), 58 ans, chinois

36e fortune mondiale (29 milliards de dollars)

Fondateur et PDG jusqu’en 2019 du site de e-commerce chinois Alibaba, le plus célèbre “disparu” de la tech chinoise (réapparu cet été).

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June 20, 2023 at 10:44:19 AM GMT+2

La chute du bitcoin, un “coup mortel” pour le Salvador ?https://www.courrierinternational.com/article/analyse-la-chute-du-bitcoin-un-coup-mortel-pour-le-salvador

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Analyse. La chute du bitcoin, un “coup mortel” pour le Salvador ?

Alors que la plus célèbre des cryptomonnaies ne cesse de perdre de la valeur, le pays d’Amérique centrale, qui en a fait une devise officielle en 2021, se retrouve pris à la gorge. Pourra-t-il payer ses dettes ? s’interroge la presse de la région.

Où s’arrêtera la chute ? Déjà mal en point depuis des mois, le bitcoin, la plus célèbre des cryptomonnaies, a perdu 21 % de sa valeur la semaine dernière. L’une des raisons est la faillite, vendredi 11 novembre, de la plateforme de cryptofinance FTX, où s’échangeaient les cryptomonnaies.

Mais cette baisse n’est pas la seule. “C’est seulement la plus récente. Le bitcoin part en piqué depuis la fin de l’an dernier”, écrit Isabella Cota, chef du service économie pour l’Amérique latine du site El País México.

Lire aussi Finance. Le marché des cryptomonnaies frôle à nouveau le krach

La journaliste cite Ricardo Castaneda, économiste à l’Institut d’Amérique centrale des études financières :

“Les pertes de la semaine dernière représentent quasiment un coup mortel porté à l’adoption massive de cryptomonnaies au Salvador.”

En septembre 2021 en effet, le plus petit pays d’Amérique centrale, sous l’impulsion de son jeune et très populaire président Nayib Bukele, avait décidé d’adopter le bitcoin comme monnaie officielle – aux côtés du dollar. Avec des achats censés grossir le budget de l’État.

“L’échec est patent”

Dans un article d’opinion écrit la veille de la chute de FTX, le site Elsalvador fait rapidement le calcul :

“Le 3 novembre 2021, un bitcoin atteignait la valeur de 68 991 dollars ; mercredi 9 novembre il valait 16 686 dollars [16 172 ce 15 novembre]. L’échec est patent.”

Le correspondant à San Salvador de CNN Español cite une étude de l’Institut d’opinion de l’université d’Amérique centrale, selon laquelle “75,6 % des sondés affirment n’avoir jamais utilisé le bitcoin pour faire des achats, tandis que 77,1 % estiment que le gouvernement ne devrait plus investir de fonds publics pour acheter cette cryptomonnaie”.

Lire aussi Première mondiale. Comment le Salvador a adopté le bitcoin comme monnaie officielle

En fait, personne ne sait exactement combien le gouvernement de Nayib Bukele a investi dans le bitcoin. Les seules estimations se réfèrent à son compte Twitter, qui sert généralement au président à annoncer ses décisions. Selon le site Nayibtracker, ces achats ont représenté 107 millions de dollars, qui n’en vaudraient plus aujourd’hui que 40 millions. Ce qui est loin d’être anodin, pour Ricardo Castaneda :

“[Ces pertes] représentent par exemple la quasi-totalité du budget du ministère de l’Agriculture, dans un pays où l’insécurité alimentaire frappe la moitié de la population.”

Le temps presse

S’il n’a pas réagi à la récente chute du bitcoin, Nayib Bukele a l’habitude de répéter que ces achats ne sont pas des pertes mais des investissements pour l’avenir, quand le cours de la cryptomonnaie remontera.

Mais le temps presse. “En janvier, le gouvernement va devoir faire face au remboursement de 800 millions de dollars [à des investisseurs étrangers]”, écrit le quotidien La Prensa Gráfica, qui signale que l’an dernier, le gouvernement était en négociations avec le Fonds monétaire international (FMI) pour un prêt de 1,3 milliard de dollars.

Lire aussi Cryptomonnaie. L’adoption du bitcoin comme monnaie officielle divise le Salvador

Mais, “après l’adoption du bitcoin, les relations se sont refroidies”. Le FMI a toujours averti des risques encourus par le Salvador après que Nayib Bukele a misé sur la cryptomonnaie.

Pour le site Elsalvador, il n’y a pas de doute :

“Combien d’écoles n’ont pas été construites, combien d’hôpitaux n’ont pas pu être rénovés à cause du bitcoin ? Combien de promesses n’ont pas pu être tenues ? […] Quelque chose sent très mauvais.”

Article publié dans le Courrier International

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June 20, 2023 at 10:41:10 AM GMT+2

Peut-on limiter l’extension de la « société de la notation » ? | InternetActu.nethttps://www.internetactu.net/2020/09/23/peut-on-limiter-lextension-de-la-societe-de-la-notation/

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Peut-on limiter l’extension de la « société de la notation » ?

Vincent Coquaz (@vincentcoquaz) et Ismaël Halissat (@ismaelhat), journalistes à Libération livrent dans La nouvelle guerre des étoiles (Kero, 2020) une bonne enquête sur le sujet de la notation : simple, claire, accessible, grand public. Leur synthèse prend la forme d’un reportage informé et rythmé, proche du journalisme d’investigation télé auquel nous ont habitué des émissions comme Capital ou Cash Investigation. Reste que derrière les constats que délimitent leur enquête, notamment celui du manque de fiabilité de la notation, se pose une question de fond : comment border, limiter ou réguler cette « société de la notation » qui se met en place ?

La société de la notation

L’invention de la notation remonte au XVe siècle, sous l’impulsion des Jésuites et de la contre-réforme, qui, pour lutter contre l’expansion protestante, vont fonder des collèges dans toute l’Europe, et vont utiliser la notation pour évaluer leurs élèves, comme le pointe le spécialiste des pratiques pédagogiques Olivier Maulini. Pour distinguer et classer les élèves, la notation s’impose, et avec elle le tri et la compétition, appuie le sociologue spécialiste des politiques éducatives Pierre Merle dans Les pratiques d’évaluation scolaire (PUF, 2018). Il faudra attendre le début du XIXe siècle pour que se mette en place le barème sur 20 qui va se répandre dans tout le système scolaire à la fin du siècle. La généralisation d’une échelle plus précise va surtout permettre de renforcer la discrimination et l’individualisation, la différenciation et la hiérarchisation. La moyenne, quant à elle, apparaît au début du XXe siècle et consacre « le classement sur le savoir », puisque celle-ci va permettre d’additionner par exemple des notes en math avec des notes en sport… ce qui semble loin d’une quelconque rigueur mathématique ou scientifique. Plus omniprésente que jamais, la note va pourtant voir sa domination contestée. À la fin des années 90, de nouvelles formes d’évaluation alternatives, comme les niveaux de compétences (distinguant les notions acquises de celles qui ne le sont pas) se répandent, mais demeurent limitées et marginales par rapport à la gradation chiffrée.

Si la notation n’est pas née avec le numérique, celui-ci va être un incroyable accélérateur de « la société de la notation » et va favoriser son essor bien au-delà de la seule sphère scolaire où elle est longtemps restée limitée (la note s’étant peu imposée dans le monde du travail avant l’essor du numérique). Amazon, dès 1995, propose aux acheteurs de noter sur 5 étoiles les produits qu’ils commandent. TripAdvisor en 2000, Yelp en 2004 élargiront ces possibilités aux restaurants et hôtels. En 2008, ebay proposera aux utilisateurs de noter les vendeurs… avant que toutes les plateformes de l’économie collaborative n’emboîtent le pas à la fin des années 2000. En quelques années finalement, la note et le classement se sont imposés dans la société, tant et si bien qu’elles semblent désormais être partout. Comme si avec l’essor de la note et du classement, venait une forme de libération de l’efficacité de l’évaluation… Ce n’est pourtant pas le constat que dressent les journalistes.

En se répandant partout, la note semble avoir généré ses propres excès affirment-ils. Partout où leur enquête les pousse, des médecins aux restaurateurs en passant par les services de livraison, le succès des notations par les consommateurs laisse entrevoir combien la note est devenue à la fois un Graal et une guillotine, gangrénée par les avis bidon, par un marketing d’affiliation et de recommandation largement invisible aux utilisateurs quand ce n’est pas par une instrumentation pure et simple de ces nouvelles formes d’évaluation. Cette notation anarchique n’est pas sans conséquence, pas seulement sur les établissements, mais également, de plus en plus, sur chacun d’entre nous, qui sommes de plus en plus concernés par ces évaluations de plus en plus individualisées et individualisantes. Dans la plupart des secteurs où se répand la notation par les utilisateurs, la notation des clients a de plus en plus souvent un impact sur une part du salaire des employés ou sur les primes des gens ou secteurs évalués.

L’omerta à évaluer l’évaluation

Le principal problème que soulignent les auteurs, c’est que cette évaluation est bien souvent tributaire d’affects, de contexte ou d’appréciations qui n’ont rien à voir avec ce qui est sensé être évalué. Derrière son apparence de neutralité et d’objectivité, l’évaluation n’a rien de neutre ni d’objectif. Sur Ziosk par exemple, un outil d’évaluation des serveurs de restaurant, certaines des questions posées portent sur la nourriture ou la propreté, qui ne dépendent pas nécessairement des serveurs. Or, pour eux comme pour de plus en plus de ceux qui sont évalués, ces notes ont un impact réel sur une part de leur rémunération voir sur leur emploi. La mathématicienne Cathy O’Neil, auteure de Algorithmes, la bombe à retardement (Les arènes, 2018), le répète depuis longtemps : les évaluations naissent de de bonnes intentions, mais les méthodes échouent à produire des résultats fiables et robustes, ce qui sape leur but originel. L’opacité des calculs empire les choses. Et au final, de plus en plus de gens sont confrontés à des processus d’évaluation très contestables, mais qui les impactent directement, explique encore celle qui réclame la plus grande transparence sur ces systèmes d’évaluation et de notation. Nous en sommes pourtant très loin soulignent les deux journalistes qui constatent combien l’évaluation demeure opaque.

La notation par le consommateur a colonisé l’industrie des services. Désormais, les notes des clients affectent la rémunération des salariés et deviennent un outil de contrôle et de pression managériale. Nous sommes passé d’un outil censé produire de l’amélioration à un outil de contrôle. Et cela ne concerne pas que les enseignes du numérique comme Uber ou Deliveroo, mais également nombre de commerces en relation avec des clients. Le problème de cette notation, pointent Coquaz et Halissat, c’est l’omerta. Derrière les nouveaux standards que tous adoptent, aucune des entreprises qu’ils évoquent dans leur livre n’a accepté de leur répondre sur leurs méthodes. Des centres d’appels des opérateurs télécoms, aux grandes enseignes de livraison d’électroménager, en passant par les concessionnaires automobiles, aux sociétés de livraison ou aux chaînes de distribution…. Voir aux services publics qui le mobilisent de plus en plus, tout le monde se pare derrière le secret quand il est question de regarder concrètement les procédés d’évaluation. Or, le problème des évaluations consiste à toujours contrôler si elles évaluent bien ce qu’elles sont censées évaluer.

Le livreur qui n’aide pas à monter une livraison va se voir mal noté par le client, alors que cela ne fait pas partie de la prestation qu’il doit accomplir. Si le colis est abîmé, il va recevoir également une mauvaise note, alors que le colis a pu être abîmé ailleurs et par d’autres. Le ressenti client est partout, sans aucune transparence sur l’évaluation. Le coeur du problème, relève certainement du déport de l’évaluation sur l’utilisateur, plutôt que de se doter de services d’évaluation compétents. À l’heure où la question de l’évaluation semble partout devenir centrale, la question de l’évaluation peut-elle de plus en plus reposer sur des évaluations sans méthodes et sans science ?

Coquaz et Halissat ont raison de mettre en cause le fameux « Net Promoter Score » (NPS) inventé par le consultant américain Fred Reichheld (@fredreichheld) au début des années 2000 qui va optimiser les vieux questionnaires clients réalisés en papier ou par sondage, au goût du numérique. Le problème, c’est que là encore, le NPS est loin d’une quelconque rigueur mathématique, puisque seuls ceux qui donnent une note optimale (9 ou 10) sont considérés comme des clients qui vous recommanderaient. Pour le NPS, mettre un 0 ou un 6 équivaut dans le score à être un détracteur de la marque ! Malgré cette absence de scientificité, cette méthode à évaluer la loyauté des clients est pourtant très rapidement devenue un « indicateur clé de performance » pour nombre d’entreprises. Malgré les nombreuses critiques qui l’accablent, comme celles du chercheur Timothy Keiningham (@tkeiningham, qui montre que cet indicateur ne prédit aucune croissance pour les firmes qui l’utilisent), comme celles de son inventeur lui-même qui a pris quelques distances avec son indicateur, le NPS semble pourtant étrangement indétrônable.

Derrière l’omerta, le Far West

Cette absence de scientificité de l’évaluation donne lieu à nombre de pratiques délétères que les deux auteurs détaillent longuement… notamment bien sûr, la fabrique de fausses notes, consistant à rémunérer des personnes en échange de commentaires et de bonnes notes. Dans un monde où la note devient un indicateur sur-déterminant, qui préside à la visibilité ou à l’invisibilité et donc à des revenus corrélés à cette visibilité, la notation est devenue un enjeu majeur. Pour nombre de produits, les bonnes notes peuvent multiplier les ventes par 5 ou 10 ! L’enjeu financier autorise alors toutes les pratiques : contributions bidons, moyennes au calcul obscur, labellisation qui auto-alimente ce que l’on pourrait considérer comme une chaîne de Ponzi, une chaîne d’escroquerie où les fausses notes alimentent des chaînes automatisées de recommandation toujours plus défectueuses et opaques, à l’image du label « Amazon’s Choice », une appellation qui récompense les produits les plus vendus et les mieux notés pour les faire remonter dans les résultats, alors que ces notes et ces ventes sont souvent altérées par des pratiques plus que contestables. Coquaz et Halissat montre que si Amazon fait la chasse aux appréciations bidons, c’est visiblement sans grand empressement, tant finalement la tromperie entretient le marché. Amazon n’est pas le seul en cause : toutes les plateformes proposant des évaluations tirent finalement intérêt à laisser passer de fausses évaluations. Malgré l’existence d’outils plus efficaces que les leurs, comme ReviewMeta (dont on peut recommander le blog) ou FakeSpot ou Polygraphe en cours de développement par la DGCCRF, les fausses critiques pullulent et se répandent d’autant plus que la concurrence et la pression marketing s’accélèrent. Face au tonneau des Danaïdes des faux commentaires, beaucoup écopent bien sagement, ayant plus à gagner d’un système défaillant que de sa remise en question. Google My Business est certainement aujourd’hui le plus avancé dans ce Far West d’une notation sans modération, permettant à tout à chacun de noter le monde entier, sans aucun contrôle sur l’effectivité des déclarations ou des déclarants. La grande question du livre consiste à comprendre ce que note la note : derrière l’opacité généralisée, personne ne semble être capable de le dire précisément. On a surtout l’impression qu’on produit des classements imparfaits, voire frauduleux, pour nourrir une machinerie d’évaluation qui accélère et renforce l’iniquité.

Les notations individuelles qu’on poste sur Google permettent au système d’évaluer des taux d’affinités avec d’autres lieux notés, mais sans savoir depuis quels critères et biais, comme s’en émouvait les désigners de l’agence Vraiment Vraiment.

Coquaz et Halissat dressent le même constat en ce qui concerne le développement de la notation des employés, pointant là encore combien ces systèmes d’évaluation des ressources humaines opaques ne sont pas des modèles de méritocratie, mais bien des outils orwelliens qui visent à rendre chacun plus attentif à ce qu’il fait ou dit. Là encore, sur ces systèmes, un même silence et la même opacité se posent sur leur fonctionnement, leurs critères de calculs, l’évaluation des interactions qu’ils génèrent. Nous sommes bien loin d’une quelconque cogouvernance des systèmes, comme le défendait récemment la syndicaliste britannique Christina Colclough.

Malgré les défaillances des mesures, l’évaluation par la satisfaction usager fait également son entrée dans le service public. Et les mêmes défauts semblent y reproduire les mêmes conséquences. L’évaluation par les usagers sert là encore de grille pour rendre compte de la qualité du service public, permettant à la fois de justifier toujours plus d’automatisation et de corréler une bien fragile « performance » à des financements supplémentaires. D’ici fin 2020, tous les services de l’État en relation avec les usagers doivent s’engager à rendre des comptes sur la qualité de services, via des indicateurs de performance et de satisfaction, à l’image de ceux disponibles sur resultats-services-publics.fr ou voxusagers.gouv.fr… Malgré les résistances, dans le monde de l’enseignement et de la médecine notamment, ces mesures se pérennisent, comme c’est le cas à Pôle emploi qui publie régulièrement un baromètre de satisfaction. Au final, ces outils participent d’un mouvement de déréglementation, une alternative au contrôle par les services de l’État ou les services internes aux entreprises. L’évaluation par le client permet finalement avant tout d’externaliser et déréguler l’évaluation. Faite à moindres coûts, elle se révèle surtout beaucoup moins rigoureuse. Au final, en faisant semblant de croire au client/usager/citoyen roi, la notation ne lui donne d’autre pouvoir que de juger les plus petits éléments des systèmes, ceux qui comme lui, ont le moins de pouvoir. L’usager note le livreur, l’agent, le vendeur… L’individu est renvoyé à noter l’individu, comme s’il n’avait plus aucune prise sur l’entreprise, l’institution, l’organisation, le système.

La démocratisation de l’évaluation n’est pas démocratique

En fait, le plus inquiétant finalement, n’est-il pas que la notation apparaît à beaucoup comme la forme la plus aboutie (ou la plus libérale) de la démocratisation ? La note du consommateur, de l’utilisateur, du citoyen… semble l’idéal ultime, ouvert à tous, parfaitement méritocratique et démocratique. L’avis ultime et leur somme semblent attester d’une réalité indépassable. Pourtant, les études sur les avis et commentaires en ligne montrent depuis longtemps que seule une minorité d’utilisateurs notent. Les commentateurs sont souvent très peu représentatifs de la population (voir notamment le numéro de 2014 de la revue Réseaux sur le sujet). Très peu d’utilisateurs notent ou commentent : la plupart se cachent voire résistent. Partout, des « super-commentateurs » (1 à 1,5 % bien souvent produisent de 25 à 80 % des contributions) fabriquent l’essentiel des notes et contenus, aidés par de rares commentateurs occasionnels. L’évaluation qui se présente comme méritocratique et démocratique est en fait parcouru de stratégies particulières et de publics spécifiques. La distribution des commentaires procède d’effets de contextes qui sont rarement mis en avant (comme le soulignait cette étude qui montre que les commentaires de satisfaction suite à des nuitées d’hôtels sont plus nourris et élevés chez ceux qui voyagent en couples que pour ceux qui voyagent seuls et pour le travail). La société de la notation et du commentariat n’est pas le lieu d’une démocratie parfaitement représentative et distribuée, au contraire. Les femmes y sont bien moins représentées que les hommes, les plus jeunes que les plus anciens, et c’est certainement la même chose concernant la distribution selon les catégories socioprofessionnelles (même si certaines études pointent plutôt une faible participation des catégories sociales les plus élevées). Sans compter l’impact fort des effets de cadrages qui favorisent les comportements moutonniers consistants à noter, quand les notes sont visibles, comme l’ont fait les autres. Ou encore, l’impact des modalités de participation elles-mêmes, qui ont bien souvent tendance à renforcer les inégalités de participation (améliorant la participation des plus motivés et décourageant les moins engagés).

La grande démocratisation égalitaire que promet la note, elle aussi repose sur une illusion.

De l’obsession à l’évaluation permanente

Les deux journalistes dressent finalement un constat ancien, celui d’une opacité continue des scores. Une opacité à la fois des méthodes pour établir ces notations comme de l’utilisation des scores, qui, par des chaînes de traitement obscures, se retrouvent être utilisées pour bien d’autres choses que ce pour quoi ils ont été prévus. Nombre de scores ont pour origine l’obsession à évaluer les risques et les capacités d’emprunts des utilisateurs. Les secteurs de la banque, de l’assurance et du marketing ont bâti sur l’internet des systèmes d’échange de données pour mettre en place des systèmes de calcul et de surveillance disproportionnés aux finalités.

Une opacité entretenue notamment par les systèmes de scoring de crédit et de marketing. À l’image de Sift, un algorithme qui attribue aux utilisateurs du net un score de fiabilité sur une échelle de 1 à 100 depuis plus de 16 000 signaux et données. Inconnu du grand public, ce courtier de données permet pourtant aux entreprises qui l’utilisent de bloquer certains profils, sans permettre aux utilisateurs de rectifier ou d’accéder aux raisons de ce blocage. Chaque site utilise le scoring à discrétion et décide de seuils de blocage librement, sans en informer leurs utilisateurs. Sift n’est pas le seul système. Experian propose également une catégorisation des internautes en grandes catégories de consommateurs (Expérian disposerait de données sur 95 % des foyers français). Aux États-Unis, le célèbre Fico Score, né à la fin des années 80 est un score censé prédire la capacité de chaque Américain à rembourser leur crédit… Complexe, obscur, les critiques à son égard sont nourries et ce d’autant plus que ce score peut être utilisé pour bien d’autres choses, comme d’évaluer des candidats qui postulent à un emploi. Un autre courtier, Lexis Nexis, propose aux assureurs par exemple de calculer une note de santé pour leurs clients potentiels, visant à prédire la détérioration de leur santé sur les 12 prochains mois, en prenant en compte des données aussi hétéroclites que leurs revenus, leur historique d’achat, leur casier judiciaire, leur niveau d’étude, leur inscription ou non sur les listes électorales… Autant de données utilisées pour produire des signaux et des inférences. L’un de ses concurrents, Optum, utilise également les interactions sur les réseaux sociaux.

Le problème, bien sûr, c’est la boucle de renforcement des inégalités et des discriminations que produisent ces scoring invisibles aux utilisateurs. « Les mals notés sont mals servis et leur note devient plus mauvaise encore », expliquait déjà le sociologue Dominique Cardon dans a quoi rêvent les algorithmes (Seuil, 2015). Chez Experian, la note la plus basse pour caractériser un foyer est le « S71 », une catégorie qui masque sous son intitulé abscons le bas de l’échelle socio-économique où les 2/3 de ceux qui sont classés ainsi sont célibataires, divorcés ou veufs, où 40 % sont afro-américains (soit 4 fois plus représentés que la moyenne nationale), majoritairement peu éduqués. Cette catégorie par exemple va pouvoir être utilisée pour proposer de la publicité ou des produits dédiés, comme des crédits à la consommation aux taux les plus élevés du marché !

Ces évaluations dénoncées depuis longtemps (la FTC américaine, appelait déjà en 2014 à une meilleure régulation du secteur (.pdf)…), perdurent dans un no man’s land législatif, comme si leur régulation était sans cesse repoussée. À croire que l’opacité est voulue, malgré ses conséquences et ses injustices.

Plutôt que d’ouvrir les discussions sur leur production, finalement, la note semble mettre fin à toute discussion. Comme à l’école !

En devenant un objectif plus qu’une mesure, la notation change de statut tout en perdant finalement le sens de ce qu’elle était censée représentée. Quant à l’opacité des systèmes, nous ne l’avons pas accepté comme le disent les journalistes, mais il nous a été imposé. Derrière la notation, on crée des mécanismes extralégaux, qui permettent de punir automatiquement, sans présomption d’innocence, sans levier ni appel sur ces notations. L’année dernière, le journaliste Mike Elgan (@mikeelgan) dénonçait pour Fast Company le fait que les entreprises de la technologie américaines, finalement, construisaient elles aussi un système de crédit social tout aussi inquiétant et panoptique que celui de la Chine. Si Coquaz et Halissat ont plutôt tendance à minimiser les enjeux du Crédit social chinois, rappelant qu’il relève surtout pour l’instant d’expérimentations locales très diverses (ce qui est exact, mais semble oublier les finalités et l’objectif assignés par la Chine à ces projets), au final, ils montrent que le « panoptique productif » de la note, lui, est déjà largement en place.

Reste à savoir comment remettre le mauvais génie de la notation dans sa bouteille ? En conclusion, les auteurs proposent, en convoquant l’écrivain Alain Damasio, le sabotage. Mais peut-on saboter un système trompeur qui repose déjà sur des données et méthodes largement contestables ?

On a souligné quelques pistes, plus structurantes que le sabotage. Faire revenir les services d’évaluation internes plutôt que les déporter sur les usagers. Les outiller de méthodes et de procédures ouvertes, transparentes, discutables afin qu’elles évaluent bien ce qu’elles sont censées évaluer. Minimiser leur portée et leur croisement pour qu’elles n’entretiennent pas des chaînes d’injustices… Réguler plutôt que déréguler en somme ! Pour sortir de l’hostilité généralisée provoquée par La nouvelle guerre des étoiles, il faut trouver les modalités d’un traité de paix.

Hubert Guillaud

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June 20, 2023 at 9:42:00 AM GMT+2
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